Alors que le Maroc et la France poursuivent des réformes ambitieuses de leurs finances publiques, les défis liés à la transparence, à l'efficacité et à la gestion de la dette restent centraux. Entretien avec Michel Bouvier, professeur émérite à l'Université Paris 1 PanthéonSorbonne, président de l'Association pour la fondation internationale de finances publiques (Fondafip), directeur de la Revue française de finances publiques.
Propos recueillis par M. Boukhari
Finances News Hebdo : Quelles différences majeures observez-vous entre les modèles de gouvernance financière publique au Maroc et en France ?
Michel Bouvier : Il y a en effet plus de similitudes que de différences entre les modèles de gouvernance financière publique au Maroc et en France. Le Maroc, en 2015, a réformé l’organisation des finances publiques de l’État, à peu près dans les mêmes objectifs que la France en 2001. Les deux pays partagent une volonté de renforcer la transparence, d'améliorer l'efficacité et d'assurer une gestion plus rigoureuse des finances publiques. Cependant, si la philosophie des réformes est comparable, chaque pays a adapté son modèle à ses spécificités. Par exemple, la loi organique relative à la Loi de Finances (LOLF) au Maroc est particulière, prenant en compte les réalités économiques et administratives locales. En ce sens, bien qu'il y ait des convergences dans les objectifs de ces réformes, la manière de les mettre en œuvre diffère selon les contextes. En termes d'institutions, les Parlements français et marocain ne sont pas structurés de la même manière, ce qui entraîne des divergences dans le processus législatif. Mais, dans l'ensemble, les deux pays avancent dans une direction similaire, et le Maroc progresse particulièrement rapidement, notamment en ce qui concerne l’exécution du budget.
F.N.H. : Comment les différentes parties prenantes (gouvernements, citoyens, ONG) peuvent-elles être impliquées dans le processus de restructuration desdits modèles ?
M. B. : Depuis plusieurs décennies, nous observons un mouvement progressif de morcellement du système financier public, avec la multiplication des acteurs et des structures. Toutefois, au cours de cette période, un manque de coordination entre ces acteurs a été constaté. Ainsi, si le Maroc ou la France souhaite établir un modèle de gouvernance financière adapté aux défis du 21e siècle et aux multiples crises auxquelles ces pays sont confrontés, une des premières étapes serait de créer un organisme de coordination regroupant les différents acteurs concernés : les représentants de l’État, des collectivités locales, ainsi que les acteurs sociaux. Ce type d’organisation permettrait d'assurer une meilleure synergie entre les différents intervenants, d’optimiser les ressources et de garantir plus d’harmonie et d'efficacité dans la gestion publique.
F.N.H. : Avec l'augmentation des niveaux d'endettement dans de nombreux pays, quelles stratégies de gouvernance devraient être mises en place pour gérer la dette publique de manière responsable et durable ?
M. B. : La première stratégie essentielle serait de réduire les dépenses publiques, en se concentrant particulièrement sur celles qui ne sont pas indispensables. Un mécanisme clé pour cela serait la mise en place d’une revue systématique des dépenses publiques, afin d’examiner leur efficacité et leur pertinence. Les dépenses superflues devraient être supprimées, ou du moins réduites si nécessaire. La deuxième stratégie consisterait à renforcer la coordination des acteurs publics, afin de mieux gérer les ressources et d’éviter tout gaspillage. En l'occurrence, un modèle de gouvernance publique qui favorise la collaboration entre les différents acteurs (gouvernements, administrations publiques, collectivités locales, etc.) permettrait de rationaliser les dépenses et d’éviter les chevauchements inutiles. In fine, une meilleure coordination pourrait également faciliter la mise en œuvre de réformes visant à maîtriser la dette publique et garantir sa soutenabilité à long terme.