Le 31 mai, soit la veille de la fête du Travail, le gouvernement a réussi in extremis à trouver un accord salvateur avec les principaux syndicats ainsi qu’avec le patronat (CGEM). La principale mesure dudit accord consiste en une augmentation du salaire minimum (SMIG), autant dans le secteur privé que public. Une revalorisation d’au moins 10% est prévue sur 2 ans, ainsi qu’une convergence entre le SMAG et le SMIG.
Rappelons qu’actuellement, le salaire minimum net est de 2.638 DH, et ce peu importe que vous habitiez Casablanca ou Khénifra, d’où l’idée défendue par certains d’un SMIG régional, déterminé en fonction du niveau de vie dans chaque région du Royaume. Mais ça, c’est une autre histoire.
Le dialogue social semble porter ses fruits si ce n’est qu’il s’agit en réalité d’une augmentation nominale et non réelle du SMIG. Une sorte de rattrapage en termes de pouvoir d’achat. Le nominal est ce que vous lisez sur votre fiche de paie, le réel c’est le pouvoir d’achat qu’il vous permet, et c'est l’inflation qui crée en permanence l’écart entre les deux.
Pire, cette dernière ne suffira même pas à compenser la perte d’achat conséquente des ménages marocains les plus vulnérables, en raison de l’inflation cumulée des deux dernières années. Covid, perte de chiffre d’affaires des entreprises, faillites en série, crise énergétique et augmentation des coûts de production, de fret et de transport ont porté un coup dur à notre économie.
Si cette mesure représente tout naturellement une bouffée d’air pour la classe ouvrière, il en va tout autrement pour les PME, qui y voient une charge supplémentaire qui vient s’ajouter à une fiscalité inadéquate à leur taille et au contexte actuel, et à une conjoncture économique qui prend de plus en plus l’allure d’une crise larvée, et ce à l’échelle mondiale.
Car le problème ne réside pas tant dans l’augmentation du SMIG que dans l’absence d’une augmentation proportionnelle de la productivité du travail. Pour les PME, à moins de pouvoir investir massivement dans la formation continue de leur personnel ainsi que dans la modernisation de leur appareil productif, on voit très mal comment cette mesure ne se traduira pas par plus de chômage et/ou de sous-déclaration des salaires. L’informel a encore de beaux jours devant lui !
Ajoutons à cela une concurrence que l’on peut qualifier de quasiment déloyale de pays comme la Turquie ou l’Egypte, avec lesquelles nous sommes liés par des accords de libre-échange totalement déséquilibrés.
Le but ici n’est pas de dénoncer l’augmentation du SMIG, bien au contraire. Il s’agit de voir quelles mesures accompagnatrices pourraient faire en sorte que cette dernière profite autant aux salariés qu’aux entreprises. Car si la question de la formation et de la productivité évoquée précédemment s’inscrit tout naturellement sur la longue durée, des mesures d’accompagnement peuvent très bien être déployées dans l’immédiat. Car là où le salarié raisonne en salaire net, l’employeur, quant à lui, raisonne en salaire brut, puisque la part patronale représente environ 21% du total des cotisations sociales (AMO, pension, …, taxe) en plus de la taxe professionnelle.
Sur le plan fiscal et vu le contexte de crise, le gouvernement aurait pu entrevoir la possibilité de déduire l’augmentation en valeur absolue de cette part consécutive à l’augmentation du SMIG, de l’IS. Une forme de soutien à la préservation et à la création d’emploi. L’Etat certes devra concéder une légère perte en termes de recettes fiscales, mais ces dernières doivent avant tout être développées par un élargissement de l’assiette fiscale, plutôt qu’à travers un acharnement sur les PME.
Deuxièmement, l’augmentation du SMIG provoquera un déplacement à la hausse de toute l’échelle des salaires par un effet de cascade. Le chômage conjoncturel risque ainsi de devenir de plus en plus structurel, quant aux PME les plus fragiles, elles risquent soit de basculer définitivement dans l’informel, soit de mettre la clé sous la porte, nourrissant ainsi davantage le chômage.
C’est à se demander dans quelle mesure la CGEM représente réellement les PME et les PMI, qui comme à l’accoutumée sont sacrifiées sur l’autel des compromis et de l’achat de la paix sociale.
La vraie paix sociale ne s’achète pas, mais se construit à travers une dynamique de développement qui ne laisse personne sur le bord de la route. Ni les salariés, ni les PME, ni les grands groupes. Car là où les calculs de la politique politicienne cherchent des compromis à court terme pour acheter du temps, le développement économique permet et promeut l’émergence de synergies et d’écosystèmes vertueux et complémentaires.
En attendant, ne nous étonnons pas de voir nos jeunes abandonner l’entrepreneuriat ou chercher à le vivre ailleurs, loin du Maroc, sous des cieux plus cléments.
Par Rachid Achachi