Revenons à nouveau au sujet épineux de l’inflation, mais sous un angle nouveau, celui de son impact sur l’épargne des Marocains. Notamment celle des petits épargnants qui certes ne sont pas légions, mais qui aimeraient bien ne pas voir leur petit pécule fondre comme neige au soleil.
Nous avons déjà expliqué lors d’une précédente chronique qu’il s’agit au Maroc d’une inflation principalement importée. Mais pour le citoyen lambda, ça lui fait une belle jambe que de le savoir, car l’impact sur son pouvoir d’achat est au final le même. Comme disait quelqu’un, l’inflation est un impôt sur les pauvres, puisqu’elle permet à l’Etat de voir sa dette libellée en Dirham allégée en valeur réelle, mais le prix à payer se ressent au niveau des citoyens les plus précaires sous la forme d’un impôt invisible.
Certains optimistes diront oui, mais l’inflation a certains côtés bénéfiques, puisqu’elle est le cauchemar des rentiers. Car à moins de voir passivement leur trésor accumulé perdre jour après jour de sa valeur, ils seront amenés à consommer ou à investir cet argent. Je veux bien mais investir où ? Quel secteur au Maroc aujourd’hui peut offrir un taux de profit supérieur à 5%, soit supérieur à l’inflation de cette année ? L’immobilier ? Ce secteur contrairement aux apparences subit une crise profonde et multifactorielle, due principalement au renchérissement des matériaux de construction à l’international, à la contraction de la demande et à la frilosité des banques dans un contexte d’absence totale de visibilité économique sur le court et le moyen terme.
Dans les marchés financiers ? Les principaux indices (MASI…) connaissent une tendance fortement baissière depuis le mois de février dernier. Et sachant que la vente à découvert, soit la spéculation sur la baisse, n’est pas autorisée, quel intérêt un investisseur ou un spéculateur a-t-il à y aller ? A moins qu’il ne s’inscrit dans une logique de placement à long terme, mais l’urgence actuellement réside ailleurs.
Revenons maintenant à nos petits épargnants. Car pour ces derniers, il n’y a pas 36 choix, vu le faible niveau de financiarisation et de diversification de notre économie.
Premièrement, ils ont à leur disposition les comptes sur carnet que toutes les familles connaissent. Plutôt liquides contrairement à d’autres placements, ces derniers peuvent être mobilisés sous forme liquide à tout moment par l’épargnant en cas d’urgence, grâce à son application ou à une carte bancaire dédiée à ce compte. Mais là où le bât blesse, c’est au niveau de leur taux de rémunération qui est, disons-le, anecdotique. Les taux minima de rémunération sont fixés actuellement à 1,05%. Certaines banques proposent un taux boosté la première année, suivi d’un taux de 1,5% pour les années d’après. Cela permet de résorber une petite partie de l’inflation ni plus ni moins.
Acheter de l’or ? A moins d’avoir une épargne importante qui pourrait vous permettre d’investir dans des OPCVM indexés sur les performances de l’or et être prêt à payer 20% d’impôt sur votre plus-value, votre unique alternative serait d’acheter de l’or physique. Les bons vieux Napoléon appelés populairement «louise». Cependant, et contrairement à un mythe répandu, le métal jaune ne crée pas de valeur et ne vous en fait pas gagner. Puisqu’il ne faut pas confondre le prix avec la valeur de l’or. Quand le prix de l’or augmente, cela exprime nominalement la perte de valeur de la monnaie dans laquelle vous exprimez son prix. Quant à sa valeur, elle dépend de l’évolution de sa rareté.
Mais il est incontestable qu’il permet de préserver votre pouvoir d’achat dans le temps. C’est l’antidote par excellence à la dépréciation de la valeur de la monnaie. Mais placer toute son épargne dans des pièces en or a beaucoup d’inconvénients. Son manque de liquidité, son stockage et sa sécurisation, et le risque de ne pas trouver rapidement de personnes pour le racheter en cas d’envolée du prix. Enfin, étant quand même corrélé au prix de l’or à l’international, le cours de l’or est malgré la crise mondiale, dans un trend relativement baissier, en raison de multiples manipulations visant à protéger l’Euro et le Dollar. Mais ça, c’est un autre sujet.
Reste l’immobilier, éternelle valeur refuge aux côtés de l’or. Mais ce secteur étant en crise, dans des biens immobiliers neufs, il se serait plus intéressant d’investir dans des terrains ou des biens de seconde main, qui n’intègrent pas, du moins pas avec la même ampleur, l’inflation de cette année comme le font des biens neufs et les biens immobiliers livrables dans les deux prochaines années.
Sur le même registre, le locatif a un bel avenir devant lui. Car le risque d’une augmentation du taux directeur par Bank Al-Maghrib, expose à donner le coup de grâce au secteur du BTP autant qu’à la demande des Marocains.
Il en résultera que la demande sur le marché du locatif profitera par un effet de vase communiquant de la chute des projets de construction et de leur surcoût. Mais le cadre légal ne protégeant pas suffisamment le propriétaire face aux éventuels abus du locataire, se lancer dans cette entreprise relève dans une certaine mesure de l’aventurisme.
Enfin, me diriez-vous : «mais que peut faire l’Etat pour protéger notre épargne et pouvoir d’achat ?». Je vous répondrai : beaucoup de choses ! Mais pour ma part, et c’est un choix personnel, je ne compte plus là-dessus. Car à chaque élection législative, je me dis : «c’est bon, on a touché le fond avec le précédent gouvernement. Le prochain ne peut qu’être meilleur !». Et à chaque fois, le réel nous démontre que l’abîme n’a pas de fond, et qu’on continue de creuser. Le manque de vision, de communication, de réactivité, de créativité, d’audace et de courage politique sont toujours là au rendez-vous !
Par Rachid Achachi