Assurance maladie obligatoire: de la nécessité des protocoles thérapeutiques

Assurance maladie obligatoire: de la nécessité des protocoles thérapeutiques

L’AMO englobe désormais 14 protocoles thérapeutiques après leur approbation, vendredi 20 janvier 2023, par le ministère de la Santé et de la Protection sociale.

Entretien avec Abdelmadjid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique, analyste des marchés pharmaceutiques et membre de la société marocaine de l’économie des produits de santé.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Le 1er décembre 2022 a marqué l’entrée en vigueur de la généralisation de la couverture médicale. Quels sont les outils à optimiser en faveur du budget consacré à la Santé ?

Abdelmadjid Belaïche : La généralisation de la couverture sanitaire pratiquement à l’ensemble des Marocains confrontera les besoins énormes de ces derniers en soins à des budgets de santé, certes beaucoup plus importants que ceux mis en jeu au cours des années précédant la pandémie de la Covid-19. La satisfaction de ces besoins en soins importants ne pourra se faire sans optimisation de ces budgets à travers une série de mesures, telles que le respect du parcours de soins coordonnés, les protocoles thérapeutiques et la priorisation de l’utilisation des médicaments génériques et biosimilaires. Le respect du parcours des soins nécessite le passage d’abord par le médecin de famille (généraliste dans le secteur privé ou dans un centre de santé) pour diagnostiquer, traiter et le cas échéant pour orienter le patient vers le spécialiste le mieux adapté à son cas. Ce respect du parcours coordonné des soins permet de réaliser d’importantes économies pour les caisses des organismes gestionnaires de l’assurance maladie et pour le patient, en évitant des dépenses aussi catastrophiques qu’inutiles et donc inefficaces. En effet, souvent le patient ne sait pas à quelle spécialité médicale s’adresser et un même symptôme peut en cacher plusieurs. D’où l’importance de passer par un médecin généraliste. Quant aux médicaments génériques et les médicaments biosimilaires, qui sont les génériques des médicaments issus de biotechnologies, leur usage permet de réaliser de substantielles économies aussi bien pour les patients que pour les caisses des organismes gestionnaires de l’assurance maladie. D’ailleurs, ces types de médicaments, qui ont les mêmes compositions qualitatives et quantitatives que leurs princeps, coûtent bien moins chers que ces derniers. Les médicaments génériques ont ainsi permis de réaliser des économies de l’ordre de 22,8 milliards de dirhams sur la période 2016-2021, dont 3,8 milliards rien qu’en 2021.

 

F.N.H. : L’assurance maladie obligatoire englobe désormais 14 protocoles thérapeutiques. Quel rôle peuvent-ils jouer à votre avis dans l’amélioration du quotidien du patient marocain ?

A. B. : Il faut rappeler que les protocoles thérapeutiques font partie des mécanismes les plus importants d'harmonisation des pratiques professionnelles et permettent d'améliorer l'accès en toute sécurité à des services de santé de qualité, de rationaliser les prescriptions médicales et l'utilisation des ressources thérapeutiques aussi bien dans les secteurs public que dans le privé. De même, ces protocoles ainsi que d'autres mécanismes contribuent également au contrôle et à l'encadrement de l'assurance maladie obligatoire de base, en renforçant le contrôle médical des dépenses en vue de préserver les équilibres des régimes de la couverture médicale. Ces protocoles concernent les moyens de diagnostic, mais aussi ceux thérapeutiques. Ils permettent de hiérarchiser ces moyens en allant des plus simples et des moins coûteux, dits de première intention, vers les plus complexes et les plus onéreux. Cela évite les dépenses catastrophiques et coûteuses aussi bien pour le patient que pour les organismes gestionnaires de l’assurance maladie. Ces protocoles thérapeutiques sont élaborés par la Société marocaine des sciences médicales (SMSM) et d’autres sociétés savantes ainsi que des experts connus dans leurs domaines médicaux respectifs, ne présentant aucun conflit d’intérêt. Et ce, avec la participation du ministère de la Santé, du Conseil national des médecins et de l’Agence marocaine de l’assurance maladie (ANAM). D’ailleurs, la dernière réunion consacrée à la validation des 14 protocoles thérapeutiques a vu la participation des parties susmentionnées avec, en plus, les directeurs des CHU, des groupes de travail thématiques, des coordonnateurs de groupes, ainsi que des cadres et responsables de l’administration centrale du ministère, à leur tête le ministre de la Santé et son secrétaire général.

 

F.N.H. : Ces nouvelles mesures thérapeutiques prennent en compte l’accouchement (par césarienne) pour pallier les dépenses inutiles et préserver la santé des femmes. Quelle lecture en faites-vous ?

A. B. : La césarienne est justement le bon exemple pour illustrer l’intérêt et l’importance des protocoles thérapeutiques. On sait que la césarienne est actuellement pratiquée sur une grande échelle; dans certains cas, elle peut être parfaitement justifiée et pas du tout dans d’autres situations où un simple accouchement par voie basse suffit. La question que l’on pourrait légitimement poser est : «Est-ce que toutes les césariennes pratiquées sont justifiées» ? En effet, le rapport entre le coût d’un accouchement par voie basse et celui d’une césarienne passe pratiquement de 1 à 10, car il inclut une opération chirurgicale avec tous les soins y afférents et une hospitalisation en clinique ou en hôpital. Dans ce cas, le protocole va définir dans quel cas recourir de manière justifiée ou pas à la césarienne.

 

F.N.H. : La maladie du cancer s’accapare la part du lion, car sur les 14 recommandations thérapeutiques, 10 concernent cette pathologie. Comment expliquezvous cela ?

A. B. : Il serait plus judicieux de parler de cancers au pluriel. Ce n’est en effet pas une maladie, mais un groupe de maladies, avec certains points communs mais aussi des différences quant à leurs origines, leurs traitements et leurs évolutions. Si 10 protocoles thérapeutiques sur 14 ont été adoptés récemment, c’est parce que ces maladies sont les plus dangereuses, les plus complexes à soigner et surtout les plus chères, et donc les plus budgétivores pour les caisses de l’assurance maladie en raison des coûts exorbitants de leurs traitements. Il était donc important de mettre en place des protocoles thérapeutiques pour éviter des escalades inutiles vers les traitements les plus coûteux sauf quand ils s’imposent vraiment. Les cancers concernés par ces protocoles thérapeutiques sont ceux du sein, du col de l’utérus, des ovaires, de l’endomètre, du poumon, de la prostate, de la thyroïde, de la vessie, du colorectal et celui de l’estomac. En dehors des cancers, les protocoles thérapeutiques concernent le psoriasis, la césarienne, le diabète et les infections bactériennes précoces chez les nouveau-nés.

 

F.N.H. : Quelles sont les retombées économiques de l’optimisation de ces différents protocoles ?

A. B. : Les retombées économiques de ces protocoles thérapeutiques ne se limitent pas aux seules caisses des organismes gestionnaires de l’assurance maladie, mais peuvent aussi toucher les patients, puisque ces derniers paient de leurs poches «le reste à charge». Dans certains cas, cela peut représenter jusqu’à 30% du coût des soins, voire plus. Aujourd’hui, dans les pays où il y a de bons systèmes d’assurance maladie, il y a des protocoles thérapeutiques pour la majorité des pathologies. Ces protocoles sont remis à jour régulièrement à la lumière des évolutions des connaissances scientifiques concernant le diagnostic et les traitements de ces maladies.

 

 

 

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