Agriculture : «Il faut absolument revoir la stratégie nationale»

Agriculture : «Il faut absolument revoir la stratégie nationale»

Des dysfonctionnements ont marqué la réalisation de la stratégie agricole. Une attention particulière doit être portée aux petits exploitants. Entretien avec Mohamed Dahbi, secrétaire général de l’Union générale des entreprises et professions (UGEP).

 

Propos recueillis par C. Jaidani

Finances News Hebdo : Y a-t-il un effet de l’annulation de l’Aïd Al-Adha sur les prix des viandes rouges ?

Mohamed Dahbi : Malgré l’annulation du sacrifice de l’Aïd Al-Adha pour l’année en cours, il n’y a pas eu de baisse significative des prix des viandes rouges. Dans le meilleur des cas, la diminution n’a pas dépassé les 20% pour la viande ovine. Pour la viande bovine, on constate une baisse, sans pour autant revenir à la normale. Mais cette régression devrait se poursuivre car de nombreux éleveurs, et particulièrement les intermédiaires, tentent d’écouler leur bétail ou de le réduire pour pouvoir supporter les charges. Toutefois, nous avons noté une fluctuation des prix selon les régions. Il faut aussi souligner que certains bouchers proposent leurs produits à 50 DH/kg. Il s’agit en fait de la viande de brebis d’Espagne. Cette dernière est très appréciée des consommateurs marocains aux dépens des autres races importées.

 

F.N.H. : Certains professionnels émettent des critiques sur l’opération de recensement du cheptel national. Quel est votre avis ?

M. D. : On a relevé des contradictions entre les infos avancées par Mohamed Sadiki, l’ancien ministre de l’Agriculture, et Ahmed El Bouari, l’actuel ministre. Le premier a, au terme de son mandat, affirmé que le cheptel ovin dépasse les 20 millions de têtes, alors que le second a avancé qu’il a baissé de 38%. Je me demande pourquoi la comparaison a été faite par rapport à 2016 et pas avec l’année dernière. Les professionnels du secteur, comme l’Association nationale ovine et caprine (ANOC), ont confirmé que le cheptel est suffisant pour observer le rituel de l’Aïd Al Adha. Ces contradictions ont faussé les projections et ont abouti à un manque de confiance chez les professionnels et les citoyens.

 

F.N.H. : Dans ces conditions, faut-il pointer du doigt le Plan Maroc Vert ?

M. D. : Depuis le démarrage du PMV, le prix de la viande rouge n’a cessé d’augmenter, passant de 50 DH/kg en 2009 à 80 DH/KG en 2016, pour atteindre le prix record qu’on connaît actuellement. La crise de la filière viande rouge et aussi les problématiques d’autres filières nous imposent de faire une évaluation objective de la stratégie agricole. Certes, le Maroc a enregistré de belles réalisations au niveau de l’export, mais il n’arrive toujours pas à satisfaire ses besoins pour des produits alimentaires de base. Il reste dépendant de l’étranger. Par ailleurs, on ne doit pas évoquer la sécheresse pour justifier l’échec du PMV, car il existe plusieurs dysfonctionnements dans la stratégie agricole. Bizarrement, en période de sécheresse, le prix de la viande rouge régresse. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Le PMV n’a pas pris en considération que le phénomène est cyclique. On est passé du PMV à Génération Green sans faire une évaluation d’ensemble. Il faut absolument revoir la stratégie agricole nationale. Auparavant, les semences locales prédominaient; actuellement la plupart sont importées, surtout pour les produits à forte consommation comme les tomates, les oignons ou les pommes de terre. Dans la production animale, on constate aussi qu’il y a une percée des races étrangères, alors que nous avons des races locales très bonnes comme Sardi, Damane, Timahdid ou Béniguil. Certains choix restent incompréhensibles.

 

F.N.H. : Le contrat-programme signé entre l’Etat et les professionnels du secteur n’a pas donné les effets escomptés. Quelles en sont les raisons ?

M. D. : Ce contrat-programme avait pour objectif essentiel la promotion de la production locale. Malheureusement, le PMV a accordé une importance aux associations aux dépens des petits exploitants, alors que ces derniers sont le principal fournisseur du marché en viandes rouges. Ils doivent bénéficier d’une attention particulière. La Fédération interprofessionnelle des viandes rouges (Fiviar) a bénéficié d’un énorme soutien, même si les résultats ne sont pas au rendez-vous. La stratégie agricole visait à terme à exporter de la viande rouge, et maintenant on en importe. On a confié l’étude et la réalisation de cette stratégie à un cabinet international, alors que nous disposons d’experts et de spécialistes qui connaissent parfaitement l’environnement et les spécificités du Maroc.

 

F.N.H. : Qu’en est-il des organisations professionnelles encadrant l’activité de la filière comme la Fiviar ?

M. D. : Jusqu’à maintenant, on n’arrive pas à tenir une assemblée générale pour faire l’état des lieux, renouveler les instances et fixer une nouvelle feuille de route, à cause, entre autres, de conflits d’intérêt importants qui sont apparus.

 

F.N.H. : Dans ces conditions, peut-on s’attendre à un renouvellement du cheptel ?

M. D. : L’annulation du sacrifice pour l’Aïd Al Adha devra donner une forte impulsion pour renouveler le cheptel national. C’est une pause qui permettra à la filière de redémarrer dans de bonnes conditions. On a constaté que cette initiative a permis de baisser les prix aussi bien des bêtes que de l’alimentation de bétail. Les dernières pluies sont très bénéfiques pour enrichir les parcours naturels et ont un effet favorable sur les activités pastorales. Mais un retour à la normale ne doit pas nous faire oublier qu’il est absolument nécessaire de mener les réformes structurelles qui s’imposent.

 

F.N.H. : On évoque également les intermédiaires qui sont responsables du renchérissement des prix et de la perturbation de la chaîne de valeur. Est-il possible de les encadrer pour atténuer leur effet ?

M. D. : Les intermédiaires sont incontournables et ils font partie de la chaîne de valeur, aussi bien dans l’amont agricole que dans l’aval. Mais ce sont les occasionnels qui faussent le marché. Il est donc essentiel de trouver des mécanismes pour réguler leur activité. Le cas du poissonnier qui a défrayé la chronique ces derniers temps est typique, puisqu’on a constaté une grande différence entre le prix des débarquements et celui à la consommation. Le même phénomène se produit pour les fruits et légumes et les viandes rouges. L’encadrement ne relève pas uniquement du ministère de l’Agriculture, mais également d’autres départements, particulièrement celui de l’Intérieur. Il faut par ailleurs renforcer la digitalisation des marchés pour fonctionner avec des plateformes dématérialisées. Cette option permettra d’identifier tous les intervenants dans la chaîne de valeur et de marquer la traçabilité des produits. 

 

 

 

 

Articles qui pourraient vous intéresser

Vendredi 28 Mars 2025

Emploi : la feuille de route, une belle vitrine?

Vendredi 28 Mars 2025

Baisse du taux directeur : une inflexion monétaire aux multiples impacts

Vendredi 28 Mars 2025

Exportations aéronautiques : progression de 10,3% à fin février 2025

Vendredi 28 Mars 2025

Mines : Managem trace sa route vers 2030

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux