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Un jour, une œuvre : Hippie autodidacte, qui a mis le monde à genoux

Un jour, une œuvre : Hippie autodidacte, qui a mis le monde à genoux

Icone sacrifiée, demi-dieu de posters - symbole d’une époque idéalisée - dont le génie restera à jamais inexpliqué. Jimi Hendrix est incontestablement une légende. La plus grande que la mythologie rock n’ait jamais créée.

Il y a les êtres de passage et les élus de toute éternité. Les premiers sont des météores qu’un vent inexorable pousse vers l’oubli ; les seconds, du fait qu’ils constituent «des hauteurs sur lesquelles le destin de l’esprit avance de siècle en siècle», sont voués inéluctablement à la postérité. De celle-ci, Jimmy Hendrix - mort en 1970 à Londres - est, sans contredit, digne.

Ainsi, il y a des anniversaires auxquels on ne peut échapper. Car même 50 ans après sa disparition, Jimi Hendrix est plus que jamais présent dans nos vies. D’autant que la complexité de son œuvre et son génie continue de nous fasciner tant elle nous semble insaisissable.

Années soixante. Des générations de colère et de poudre puisaient l’argumentaire et l’énergie pour faire voler en éclats un monde décrépit.

C’est au début de cette période de bruit et de fureur que surgit James Marshall Hendrix. Johnny Allen Hendrix, né le 27 novembre 1942 à Seattle, venait d’abandonner comme de vieux oripeaux, les conditions de pauvreté et la négligence dans lesquelles il a grandi ; les troubles familiaux qu'il a vécus dans son enfance, pour ferrailler librement contre les travers de la société en laissant libre cours à son ambition.

Hendrix n’a pas abdiqué son rêve de devenir musicien. Il a ainsi fixé son cap et s’y tient. De «The Velvetones», à «Curtis Knight & The Squires», en passant par «The Rocking Kings», «The King Casuals» ou encore les groupes de rhythm and blues qui tournaient dans ce qu'on appelait le Chitlin' Circuit (le circuit des clubs fréquentés par les Afro-Américains).

En 1966, il fait la rencontre de Linda Keith (mannequin qui sort alors avec Keith Richard, guitariste des Rolling Stones) qui lui organise une rencontre avec le bassiste des «Animals», Chas Chandler au «Café Wha?». Chandler lui propose de venir se faire connaître et d'enregistrer son premier single au Royaume-Uni, alors en pleine effervescence musicale avec des groupes comme les Beatles. Jimi Hendrix aurait accepté à condition de rencontrer celui qui apparaît comme la référence britannique de l'époque à la guitare : Eric Clapton. Sur le chemin, il adopte alors définitivement le nom de «Jimi Hendrix» (au lieu de Jimmy) sur les conseils de son manager Chas Chandler.

Il rencontre Clapton pour la première fois lors d'un concert de Cream au Central London Polytechnic. Le meilleur guitariste de blues anglais accepte que Jimi Hendrix les rejoigne sur scène. Dans son autobiographie, il raconte que Hendrix «avait joué de la guitare avec les dents, derrière la tête, allongé par terre, en faisant le grand écart et d'autres figures. C'était stupéfiant et génial musicalement, pas uniquement un vrai feu d'artifice à contempler […] Je pris peur, car, juste au moment où on commençait à trouver notre vitesse de croisière, voilà qu'arrivait un vrai génie».

Eric Clapton, le guitar hero de Cream, sent vaciller son trône divin : «Il y avait pas mal de guitaristes à la fin des années 1960 mais Jimi était de loin le plus révolutionnaire. Il avait le pouvoir de faire parler sa guitare - parce qu’il défiait sa grande timidité. Je ne pense pas avoir jamais entendu un guitariste avec autant de puissance, de sexualité et de génie. Car son jeu était extrêmement sexuel. Hendrix jouait là-dessus de façon très consciente. Il a vite compris la réaction qu’il arrivait à déclencher, aussi bien au niveau sonore que visuel. On le voit au Festival de Monterey, en 1967… Il chante ‘Wild Thing’, avec ses visages qui le regardent, totalement étonnés. Il mâche un chewing-gum, avec son pantalon rouge, son gilet noir, sa chemise jaune à jabot. Il semble faire l’amour avec sa guitare. C’est un improvisateur exceptionnel, à la fois instinctif et rationnel, qui va au bout d’un développement, ce qui est orgasmique. Mais ça, c’est parce qu’il maîtrise son art à la perfection».

Jimi et sa guitare, indissociables

Jimi et son ballet sensuel devant les murs d’amplis qui crachent leurs larsens… Jimi et ses paroles cosmiques, influencées par sa passion pour la science-fiction et traversées par des filles imaginaires émergeant d’un brouillard violet. La scène qui lui permettait de se libérer des torrents de musique qu’il portait en lui, s’est métamorphosée en arène où il évolue, tel un fauve épuisé, prisonnier d’un public qui ne parvient plus à le suivre dans son grand voyage cosmique. Au point de ne pouvoir l’affronter autrement que complètement défoncé.

«The Jimi Hendrix Experience», s’agissait bien d’une expérience, d’un voyage quasi mystique en direction de la stratosphère, au milieu d’un bombardement stellaire. Les chansons qu’il composait ne ressemblaient à aucune autre - fusion viscérale entre sa guitare et sa voix, magma de styles et d’influences enchevêtrées. Elles avaient ce pouvoir terrible de vous emporter, de vous submerger, comme les courants d’un fleuve indomptable dont il avait remonté le cours jusqu’à sa source.

Hendrix a repoussé les limites, toutes les limites…shaké tous les styles pour en faire sa chose à lui, réveillé les démons du blues, de la soul, du rhythm’n’blues et du jazz - une musique que le public n’écoutait pas et que les critiques de l’époque méprisaient.

«Quand je l’ai rencontré, il était en train de monter son trio avec le batteur Mitch Mitchell, nourri au jazz. Son premier disque, Are You Experienced, est déjà très ‘note bleue’ : on l’entend dans les dialogues improvisés entre guitare et basse, évoquant le free new-yorkais. Même une chanson comme ‘Foxy Lady’ est bourrée d’accords de neuvième, typiques du bebop et inconnus dans le rock», raconte à la presse Jeff Beck qui le côtoie depuis son arrivée à Londres en 1966.

Hendrix, dans son brouillard de dope, cherche une porte de sortie. Échapper à la folie qui l’entoure, qu’il a lui-même engendrée. Pour s’en abstraire, il n’aime rien tant que s’enfermer en studio pour enregistrer des kilomètres de bandes magnétiques.

De son vivant, Hendrix n’a enregistré que trois albums studio, plus un live. Cela a-t-il suffi à changer à jamais le cours de la musique - rock, pop, soul, r’n’b, jazz ? Et c’est, au fond, tout ce qui compte.

L’air agressif, regard venimeux, voix indécemment nasillarde, improvisateur sortant des sentiers battus, Jimi envoyait des rafales de vibrato et de wah-wah. Il libérait la guitare solid body de ses contraintes en utilisant les ressources nées de l'amplification (notamment en domestiquant l'effet Larsen).

Hendrix avait également la particularité, pour un guitariste gaucher, de jouer le plus souvent sur une guitare de droitier, après avoir remonté ses cordes à la suite de cette inversion. Il lui arrive néanmoins d'emprunter une guitare à un droitier et de jouer avec les cordes telles quelles.

Sur le plan musical, Jimi Hendrix n’a jamais vraiment eu d’héritiers. Il ne pouvait y avoir qu’un seul Hendrix. C’est d’une logique implacable. Aucun musicien sérieux, ayant capté la nature par essence intouchable de son œuvre, ne s’y serait risqué.

Gloire décapitée

Trajectoire fulgurante fracassée par la plus stupide des morts, imprévisible et solitaire, après avoir absorbé le funeste cocktail alcool-barbituriques qui en emporterait tant d’autres, dans une chambre d’hôtel à Londres. Transporté, inconscient, dans une ambulance et déclaré «Dead on arrival».

Insatiable Cronos, la culture populaire, en Amérique, se nourrit aussi de ses propres enfants, qu’elle dévore sans remords dès lors qu’on les a trop aimés. Hendrix. Le premier de la liste, la sinistre litanie des seventies, décennie camée, au bord du gouffre…Parti juste avant Janis Joplin, son amie, Jim Morrison et les autres. Mais Hendrix était différent. Pas seulement à cause de son talent surnaturel, de son charisme, de sa façon, faussement timide, de s’excuser, d’embrasser le ciel…

C’était il y a cinquante ans, le 18 septembre 1970 et, depuis, le fantôme du «Voodoo Child» n’a jamais cessé de hanter un seul jour, une seule nuit, les rives du grand fleuve boueux de la musique noire américaines, ses méandres et ses affluents, tant la sienne, extraterrestre, aura bouleversé les âmes.

Voilà, une gloire décapitée en plein élan puis sanctifiée pour avoir eu la bonne idée de périr d’une manière hâtive.

 

 

Par R.K.H

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