Grand habitué de L'Boulevard, Haoussa est revenu en terre conquise, samedi 24 septembre, accompagné comme à son habitude de sa prose acérée et son «rock issaoui» aux assauts dévastateurs. Plus qu'une séance de rattrapage (pour les rares qui ne l’auraient pas déjà vu en concert), leur concert a été un bon moyen de se replonger dans l’album de ceux que l’on a vu taxer de «précurseurs du punk marocain»…on ne pouvait décemment pas rater ça.
Par R. K. Houdaïfa
Photo © Abdelhamid Belahmidi
Samedi 24 septembre, 21h15. Le club du RUC se vide. Ses clients se dirigent, par flots, vers la scène, grossissant ainsi la foule qui y afflue de toutes parts.
Qu’est-ce qui fait courir tout ce monde ? Haoussa, pardi ! Haoussa?
Après plusieurs années parsemées de déboires et de défections, on pouvait penser pourtant que les jeux étaient faits, que la fièvre Haoussaienne était tombée depuis belle lurette et que Khalid Moukdar (fondateur et leader du groupe depuis toujours) et Ali Doliprane (bassiste du groupe depuis 2007) ne sont plus que des reliques respectables. Grossière erreur !
«On a beaucoup remis au lendemain notre come-back. Le problème qui se posait, c’était lié à ‘’comment se réunir’’. Haoussa, c’est par passion. On ne vit pas de Haoussa. Chacun mène sa vie autrement», nous confia le chanteur charismatique et déjanté de la bande, Khalid, à l’issue de leur show.
«L’boliss ki qmaâ o l’wazir ki jmaâ [La police tabasse et le ministre ramasse]»
21h30. Haoussa déboule sur scène, sous un tonnerre d’ovations, comme autant de princes auréolés de gloire venus chercher leur couronnement. Le public qui les attendait comme un amoureux transi espère sa dulcinée, se met à scander «Haoussa ! Haoussa ! Haoussa !». Quelques accords égrenés, au milieu d’un vacarme assourdissant, afin de tester la qualité de la sono. Les instants s’étirent, se décuplent, s’éternisent. L'assistance piaffe d’impatience. On se résout alors à faire contre mauvaise fortune bon cœur.
21h40. Khalid Moukdar apparaît, Mbikhra (brasero) brandie comme une épée, flamberge au vent. A Dieu vat !
Dès les premières notes, la salle décolle, le bulldozer est lâché. Les voix du quintet s’élèvent avec «Human Insanity». Le public se déchaîne. Haoussa exulte. Galvanisés, ils se montrent au mieux de leur forme, comme aux temps héroïques. Au cœur desquels ils nous replongeront, ne reprenant des chansons-missiles qui sont devenues les cantiques d’une jeunesse impatiente de changer la vie.
Défilent «L’Ftikhabat [un jeu de mot entre le droit de vote et le fait de «se faire rouler» -ndlr]», «Maghrebi Hoor [typiquement maghrébin]», «L’Hal Casaoui»… au milieu de Waouh ! effrénés, d’acclamations ininterrompues, des cris d’amour. La foule comme un seul homme. Un vent de folie la secoue.
La sécurité est littéralement débordée. La chanson «Al Wada3» est réclamée intempestivement. Les Haoussa s’exécutent. Le public en reprend le refrain. L’ambiance est de plus en plus électrique. La fièvre monte, monte. Trépignements frénétiques. Délire. Pendant ce temps, les chansons s’enchaînent. Jeunes et moins jeunes entrent en transe. La retenue n’est plus de mise. Les mises se débraillent. Indescriptible !
«On aime bien faire la fête et bouger. Selon Khalid, les gens ne viennent pas seulement pour écouter, mais avant tout pour voir leurs musiciens adorés. Et c’est toujours mieux quand tu gesticules ce que tu chantes.»
22h. Fin du concert. Une telle effervescence montre, s'il en est besoin, que Haoussa font intimement partie de la mémoire individuelle et collective des Marocains. Une mémoire qui traverse les âges, les époques, les générations. D’ailleurs, la plupart des spectateurs n’étaient encore que des gamins au moment de la déferlante Haoussaienne. Les gus incarnent ce souffle nouveau qu’a connu la scène marocaine, engagé et radical à la fin des nineties.
Textes sincères, sarcastiques et engagés
C’était il y a 20 ans*; le temps des copains, des fleurs, du flirt et des surboums. Ce fut ce moment que choisit le groupe Haoussa pour venir au monde. En fanfare et à contre-courant. Son atterrissage sur la scène musicale ne se fit pas en douceur, loin s’en faut.
Ils furent regardés comme des bêtes curieuses par les braves bourges engoncés dans leur souci de la bienséance. En sortant des sentiers balisés, ils provoquèrent l’ire des bien-chantants avec leur rock issaoui, saupoudré de hip-hop et accommodé à la sauce punk.
Alors, comment se fait-il que nous faisions tourner en boucle depuis deux décennies les disques de Haoussa, sans guère d’espoir de nous en tirer, touchés que nous sommes, jusqu’à l’os, par la plupart de leurs chansons ?
Tout simplement, parce que celles-ci, composées de tripes, d’une langue simple et d’une poésie pure, traitent de notre âme, donnent à entendre nos soucis, clament nos peines.
Haoussa s'émeut de la perte des valeurs solidaires, décrit la gangrène corruptrice, terrorise verbalement la tyrannie, se gausse des puissants imbus de leur toute-puissance, damne les véreux de tout poil… Haoussa commet un acte de suicide, cependant que la moindre incartade condamnait son auteur aux geôles. Mais, de cette réputation d’émeutiers permanents, nos bardes se défendent, en précisant qu’aux tremblements du temps, aux soubresauts de l’histoire et aux tumultes des agitations, ils ne faisaient qu’opposer un message de paix et d’amour, sans tomber dans la vulgarité.
«On pointe du doigt la politique, critique l’autorité et la corruption au sein du pouvoir, traduit notre dégoût de la vie et notre fâcherie avec l’époque, envoie des rafales contre les va-t-en guerre… Les artistes, à mon avis [celui de Khalid Moukdar -ndlr], doivent menacer et dénoncer, moyennant l’art, les choses qui nous pourrissent la vie. Ceci dit, sans être vulgaire. C’est ainsi que personne ne sera à l’écart de ce qu’on dit ou de ce qu’on chante.»
C’est pour cela qu’elles sont hors-saison, donc intemporelles, mais forcément d’époque en ce temps où les musiquettes et les chansonnettes engluent les scènes et les ondes. Quoi de meilleur antidote à cette morosité chantante qu’une cure Haoussaienne ?
*Le groupe a été créé en 2002 puis reconfiguré en 2007. Aussi, grand gagnant de la compétition Tremplin L’Boulevard en 2002.