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Travailleurs domestiques: «La loi a mis fin à l’exploitation des petites ‘bonnes’»

Travailleurs domestiques: «La loi a mis fin à l’exploitation des petites ‘bonnes’»

Le guide pratique pour l'application de la loi sur les travailleurs et travailleuses domestiques est d’une précieuse aide pour les employeurs, qui doivent se conformer à la disposition juridique entrée en vigueur le 3 juin 2020.

Mohammed Haitami, PDG du groupe Maroc Soir et auteur du guide pratique, décortique dans cet entretien les failles et les atouts de l’arsenal juridique portant sur les travailleurs et travailleuses domestiques.

 

Propos recueillis par M. Diao

 

Finances News Hebdo : Qu'est-ce qui a été à l'origine de la rédaction du guide pratique pour l'application de la loi sur les travailleurs et travailleuses domestiques ?

Mohammed Haitami : C’est d’abord mon expérience personnelle qui m’a poussé à écrire ce guide. J’avais décidé, il y a quelques mois, de me conformer à la nouvelle loi sur les travailleurs domestiques - entrée en vigueur entretemps le 3 juin 2020 - et de déclarer donc une personne travaillant dans mon domicile. Je me suis alors rendu compte, d’une part, qu’il y avait peu de documentation sur le sujet et, d’autre part, qu’il y avait des formalités spécifiques méconnues ou peu expliquées, à accomplir auprès de plusieurs organismes. Il faut savoir qu’il faut passer par l’inspection du travail, la CNSS, la banque, la commune pour les formalités de légalisation, etc. A cela s’ajoutent la préparation d’un dossier avec de nombreux documents et l’utilisation d’un contrat type fixé par arrêté du chef du gouvernement, publié au Bulletin officiel. Il faut également compléter plusieurs formulaires et imprimés. Par ailleurs, je m’étais posé des questions que tout employeur se pose, sur la nature juridique de la relation de travail avec le travailleur domestique. Comment déclarer son salaire et payer les cotisations sociales patronales et salariales ? Des interrogations portaient aussi sur le montant du salaire, le nombre d’heures de travail par semaine et les modalités de prise des jours de repos ? A combien de jours de congé par an a-t-il droit ? Bénéficie-t-il d’une prime d’ancienneté ? Que se passe -t-il s’il s’absente ? S’il tombe malade ? S’il a un accident dans mon domicile ? En cas de licenciement, doisje appliquer la règlementation sur les indemnités, le dédommagement pour licenciement abusif ? D’autres questions se posaient également concernant les sanctions encourues en cas d’infraction à la loi, les heures supplémentaires, l’emploi des personnes âgées entre 16 et 18 ans ? L’emploi des émigrés subsahariens ou des Baby-sitters (nounous) étrangères, etc.

 

F.N.H. : Quelle appréciation faites-vous de cette loi qui a tout de même le mérite d'exister ?

M. H. : C’est une grande avancée qu’il faut saluer. Cette loi va permettre de sortir de la précarité toute une frange de la population et contribuer à l’augmentation de la couverture sociale et médicale. Elle répare en outre une injustice dont a souffert cette catégorie de travailleurs depuis toujours. En outre, la loi a mis fin à l’exploitation des petites ‘bonnes’ (et aussi des ‘boys’). Il est désormais formellement interdit d’employer une personne mineure de moins de 16 ans et l’emploi d’une personne âgée entre 16 et 18, autorisé pour une durée transitoire de 5 ans expirant le 3 juin 2025, est rendu difficile et contraignant au point que l’employeur n’a aucun intérêt à employer une personne âgée entre 16 et 18 ans, car dans ce cas, il faudrait la signature du tuteur et du travailleur. Et que celui-ci fasse l’objet tous les 6 mois d’une visite médicale à la charge de l’employeur, qu’il travaille au maximum 40 heures par semaine (contre 48h pour un travailleur adulte) et être payé plein salaire. De plus, il est interdit à son employeur de lui confier des travaux considérés comme dangereux. C’est ainsi que, selon le décret du chef du gouvernement, il ne peut pas faire le repassage des vêtements et ne peut assurer le gardiennage de la maison. Le jeune n’est pas autorisé à utiliser les machines de jardinage ou conduire des véhicules n’exigeant pas l’obtention d’un permis (une moto par exemple), etc. En revanche, des améliorations pourront être apportées à cette loi dans plusieurs directions. D’abord, elle a passé sous silence la question des assurances. L’employeur doit-il souscrire une assurance contre les accidents du travail ou peut-il se suffire de la multirisque habitation? La loi actuelle est muette et à la limite n’oblige le chef de famille à aucune couverture d’assurance. Il est également nécessaire de clarifier la question du salaire lorsqu’il est soumis à l’IR. En d’autres termes, si un travailleur domestique est payé au-dessus de 3.000,00 DH par mois, il est soumis au prélèvement de l’IR à la source et le chef de famille (employeur) doit le déclarer aux impôts (Etat 9421) et verser à la DGI en sa qualité de débirentier. Je ne vois pas comment les foyers pourraient accomplir ces formalités. La question des heures de travail nécessite des aménagements, notamment pour les activités de gardiennage de la maison, à l’instar de ce qui se fait dans plusieurs autres pays. Si on appliquait stricto sensu la loi, il faudrait que trois personnes se relaient chaque 24h pour assurer le gardiennage dès lors que le nombre légal d’heures de travail est de 48 heures par semaine (soit 8h par jour sur 6 jours). Il y a aussi le point relatif au tribunal compétent en cas de litige. Si par exemple, le travailleur est originaire d’un village lointain et que l’employeur décide d’intenter une action en justice à son encontre, pour faute grave ou abandon de poste, il doit assigner le travailleur dans son lieu de domicile avec le coût en temps et en argent. Il serait peut- être bon d’attribuer compétence au tribunal du lieu de travail.

 

F.N.H. : La loi sur les travailleurs et travailleuses domestiques n'est pas toujours respectée au Maroc. Selon vous, quels sont les leviers à activer pour le respect et une large application de cette disposition juridique ?

M. H. : Il est à mon sens prématuré de dire que la loi n’est pas respectée, puisqu’elle est entrée en vigueur il y a juste un peu plus d’un mois. Déjà, il y a quelque 1.300 familles qui ont déclaré leurs travailleurs. Il faut à mon avis communiquer et sensibiliser les deux parties. Aussi bien les employeurs que les travailleurs peuvent être réticents, par ignorance, méfiance ou peur de se retrouver engagés. J’estime qu’il faut faire des efforts dans ce sens par des campagnes de communication, des émissions télévisées et radiophoniques et en appelant à contribution les autres médias. Le mouvement associatif peut être également mis à contribution à travers les centres d’écoutes téléphoniques, le conseil juridique, etc. Il serait utile également mettre en place un mécanisme de contrôle de la part de la puissance publique pour s’assurer que les droits des travailleurs domestiques sont protégés. Sous le régime de la loi actuelle, seule la plainte auprès de l’inspecteur du travail ou de la CNSS déclenche les poursuites. Or, la partie la plus faible qui est le travailleur, aura beaucoup de difficultés à faire valoir ses droits, de peur d’être licenciée. Dans d’autres pays, il existe l’institution de l’assistante sociale, habilitée à entrer dans le domicile pour s’assurer, entre autres, des conditions des femmes battues, de l’enfance maltraitée et aussi du respect de la loi sur les travailleurs domestiques. Notre pays gagnerait à créer un tel corps d’assistantes sociales. Certes, la loi prévoit une quinzaine d’infractions, mais tant que le mécanisme de contrôle n’est pas au point, il sera difficile d’en assurer l’application. Peut-on imaginer aujourd’hui une travailleuse domestique demander le paiement d’heures supplémentaires ? Ou demander une majoration de salaire pour travail de nuit, car rappelons-le, le Code du travail qualifie tout travail effectué entre 21 h et 6 h du matin comme travail de nuit. En revanche, je ne doute pas d’une prise de conscience progressive des travailleurs domestiques et ne serais pas étonné si dans quelques années, naissait une sorte d’association, voire un syndicat pour défendre leurs droits.

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