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Immigration à la nage : les «Harragas» de Tiktok

Immigration à la nage : les «Harragas» de Tiktok

Depuis plusieurs mois, les tentatives d’immigration clandestine du Maroc vers l’Espagne connaissent une croissance sans précédent. Ce phénomène est amplifié par l’usage croissant des réseaux sociaux, l’adoption de nouvelles méthodes de migration plus dangereuses, et la participation accrue de mineurs non accompagnés. 

TikTok, l’une des plateformes les plus populaires parmi les jeunes, joue un rôle central dans cette dynamique. Cette plateforme de vidéos courtes, devenue extrêmement populaire parmi les jeunes, est également critiquée pour son impact sur la société et la sécurité des données. Au Maroc, où TikTok compte déjà plus de 12,4 millions d’utilisateurs, les appels à une régulation plus stricte se multiplient.

Ces derniers mois, la plateforme s'est retrouvée sous les feux de la critique pour son influence sur les valeurs sociétales, particulièrement auprès des jeunes. Ce contexte est d'autant plus pertinent que de nombreux jeunes migrants utilisent TikTok pour documenter en direct leur traversée dangereuse à la nage vers l’Espagne, ce qui attire l’attention de milliers de spectateurs et inspire potentiellement d’autres jeunes à prendre les mêmes risques.

Sur la plateforme de Bytedance, des vidéos en direct montrent chaque instant leur périple périlleux. Ahmed B., 22 ans, a diffusé sa traversée de Fnideq à Ceuta en nageant, attirant l'attention de milliers de spectateurs. «Je n'ai pas diffusé ma traversée pour encourager les autres, mais pour montrer ce qu'on endure vraiment. Ce n'était pas un défi ou un jeu - c'était terrifiant et dangereux», explique-t-il.

Parmi les nombreux jeunes qui partagent leur périple en ligne, Samir 19 ans, a utilisé TikTok pour diffuser en direct sa tentative de traversée depuis Belyounech jusqu'à Ceuta. Dans son live, on le voit lutter contre les vagues, avec pour seul équipement une bouée de fortune et une lampe frontale pour s'orienter dans l'obscurité. «Je voulais montrer à ma famille et à mes amis ce que je traversais, pour qu'ils comprennent pourquoi je suis parti», explique-t-il. «C’est plus dangereux que ce qu’on voit sur les réseaux. Beaucoup n'arrivent jamais, mais on préfère prendre ce risque que de rester sans avenir ».

Cependant, ces vidéos, souvent accompagnées de musiques triomphales et de commentaires optimistes, ne révèlent pas les dangers réels : courants forts, températures glaciales et risques de noyade. Une enquête de l’Observatoire des migrations de l’Université de Rabat révèle que 35% des jeunes Marocains âgés de 15 à 24 ans, affirment avoir été influencés par ces contenus en ligne montrant des traversées réussies, sans en dévoiler la face tragique. En 2023, au moins 98 personnes sont mortes en tentant de rejoindre Ceuta et Melilla par la mer, selon l’ONG Caminando Fronteras.

Des méthodes plus dangereuses

Face à l’intensification des contrôles aux frontières, les migrants trouvent de nouvelles façons d'échapper à la surveillance. La traversée à la nage, qui devient de plus en plus collective, est facilitée par des conditions météorologiques comme le brouillard, qui limite la visibilité des garde-côtes. Selon l’Observatoire du nord des droits de l’Homme, en mai et juin 2024, 90% des migrants irréguliers ont traversé la frontière maritime depuis Fnideq et 5% depuis Belyounech.

Ces traversées, bien que perçues comme moins coûteuses, restent très risquées. En août, près de 300 personnes ont tenté de rejoindre Ceuta en une seule nuit; 80 d'entre elles ont réussi à atteindre les eaux espagnoles malgré les efforts des autorités marocaines pour les intercepter. Il s’agit de trajets qui peuvent prendre jusqu’à 15 heures dans des conditions extrêmes.

L’augmentation du nombre de mineurs non accompagnés parmi les migrants est l’une des tendances les plus alarmantes. En août 2024, près de 500 mineurs ont été pris en charge dans les centres d’accueil de Ceuta, une hausse de 467% par rapport à l’année précédente, selon les autorités locales. Ces jeunes, souvent désespérés, prennent des risques considérables pour atteindre l’Espagne dans l’espoir d’un avenir meilleur. À leur arrivée, la réalité est souvent dure. Les centres d'accueil, débordés et sous-financés, peinent à offrir des conditions de vie dignes. «Nous ne pouvons plus gérer ce flux sans une aide accrue de l’État central», déclare Alberto Gaitán, conseiller de la Présidence et du gouvernement de Ceuta. 

Au-delà des chiffres, des stratégies et des frontières, ces jeunes migrants racontent une autre histoire, celle d’une génération en quête d'un endroit où se sentir à sa place. Une génération qui, malgré les dangers, les obstacles et l’incertitude, continue de se jeter à l'eau, littéralement, avec l’espoir tenace d’une vie meilleure. Parce que parfois, le choix de plonger dans l’inconnu semble moins effrayant que de rester immobile dans un présent sans issue.

 

Par K.A

 

 

 

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