◆ La rentrée littéraire d’automne 2020 est lancée avec pas moins de cinq cents titres à retrouver chez vos libraires. Parmi eux, «Finances News Hebdo» vous propose deux auteurs, les plus en vue.
Par R. K. Houdaïfa
A quoi peut-on s’attendre pour cette rentrée littéraire ? Ne le demandez pas aux patronnes et patrons des maisons d’édition : ils vous répondront qu’ils n’en savent rien. Car, ils voient moins clair durant cette rentrée que d’habitude. Pour ne pas étouffer les étals, des sorties ont été supprimées ou reportées par peur de voir débouler dans la rentrée littéraire une majorité d’apprentis best-sellers et d’autres à succès lancés pour rattraper le manque à gagner.
De fait, les maisons d’édition les plus prolifiques ont alors pris des dispositions d’allègement du menu de septembre. Ce sont les premiers romans qui ont surtout été concernés. Cette rentrée littéraire propose des centaines de romans efficacement rédigés, très ficelés, où tout ce qui est dit est dit, pas plus. Seule une poignée de livres donne à lire davantage, une prose déraisonnable, hors de laquelle certaines choses ne peuvent se nommer ni certaines vies se réfugier.
Fatima Daas, l’ange diabolique
A 25 ans, Fatima Daas s'impose comme la révélation littéraire de la rentrée avec son premier roman sobrement intitulé «La petite dernière». A la manière d’une douce slameuse, la jeune autrice scande les mille et une manières qu’elle a d’être soi : Française, d’origine algérienne, musulmane mais lesbienne, Clichoise et banlieusarde, asthmatique, chtarbée, pieuse, voleuse, apeurée, homophobe, sœur de ses sœurs… «Je suis la ‘Mazoziya’, la petite dernière. Celle à laquelle on ne s’est pas préparé… Je suis une menteuse. Je suis pécheresse. Adolescente. Je suis une élève instable. Adulte. Je suis hyper-inadaptée. J’écris des histoires pour éviter de vivre la mienne. J’ai fait quatre ans de thérapie. C’est ma plus longue relation… L’amour c’était tabou à la maison, les marques de tendresse, la sexualité aussi. Je me croyais polyamoureuse. Lorsque Nina a débarqué dans ma vie, je ne savais plus du tout ce dont j’avais besoin et ce qui me manquait…», confesse-t-elle.
Dès le début du livre, Fatima Daas énonce tous les éléments qui rendent sa vie invivable. Elle ne veut renoncer à rien, pas question de montrer patte blanche aux uns ou aux autres. Et ce geste impossible l’oblige à se tenir dans l’espace de la littérature, à inventer une langue qui n’a rien de spectaculaire, sinon la force vulnérable, rythmée, hardie, avec laquelle elle tient ensemble l’affront au père et la fidélité à ses commandements, la foi héritée et le désir interdit.
Yasmina Khadra, l’éclectique
«Lorsqu'une femme claque la porte et s'en va, elle emporte le monde avec elle.» Adem NaïtGacem, instituteur dans son petit village en Algérie, l’apprend à ses dépens. Son monde s'écroule lorsque, contre toute attente, sa femme, Dalal, prend ses cliques et ses claques et le quitte pour un autre, lassée de n'être qu'une ombre chinoise sur l'écran blanc d'une vie conjugale monotone et de l'indifférence de son mari.
Combien d'hommes ne voient en leur épouse qu'un être subalterne ? Adem va tout d’abord plonger dans un abîme de désespoir alcoolisé.
Il pensait être à l'abri dans son petit confort de mari, servi, blanchi et bichonné. Il se trompait grossièrement. Mais, tel un Don Quichotte des temps modernes, livré aux vents contraires de l'errance, il quitte tout pour partir sur les chemins. Pour chercher quoi ? Il ne sait pas. Pour fuir ? Trouver un sens à cette rupture et se reconstruire ?
Un voyage en solitaire, sans but précis, se laissant guider par les évènements, pour se recentrer sur l'essentiel : sa vie, et tenter de se trouver un nouveau but, sans son épouse. Des rencontres providentielles jalonnent sa route : nain en quête d'affection, musicien aveugle au chant prophétique, vieux briscards, galériens convalescents et simples d'esprit le renvoient constamment aux rédemptions en lesquelles il refuse de croire. Jusqu'au jour où il est rattrapé par ses vieux démons.
Adem se révèle un antihéros mélancolique, très antipathique, ne remerciant jamais, envoyant paître tout le monde, se croyant incompris et supérieur aux autres, et surtout commettant in fine un acte impardonnable.
La plume poétique de Yasmina Khadra nous emporte sur le chemin de la possession, de la place des femmes dans une Algérie à la mentalité statique et dure. Pis encore : obtuse. L'écriture touche d’autant qu’elle est à la fois douce et dépouillée, mais également imprégnée d'une richesse qui a quelque chose d'insolent, limpide et sans fioritures.
Yasmina Khadra nous offre une réflexion intense sur la rupture, le déni et la méprise. Un roman incroyablement fascinant, comme le reste de ses œuvres littéraires.