Eclatante d’énergie, pétrie de talent, Dima Droubi est une gourmande du langage ainsi que de l’histoire dont les romans savent infuser lentement les saveurs en vous. Après «La Sultane du Caire», elle publie son second opus, «Les Eveillées de Cordoue». Nous l’avons rencontrée, et c’était un moment de bonheur, pétillant et dense.
Propos recueillis par R. K. Houdaïfa
Finances News Hebdo : Ma première question s’adresse à la femme arabe que - foncièrement - vous êtes : abondez-vous dans le sens de Fatima Mernissi quand elle écrit que les femmes musulmanes en général, arabe en particulier, ne peuvent compter sur personne, érudit ou pas, ‘impliqué’ ou ‘neutre’, pour lire leur histoire.
Dima Droubi : Complètement. C'est le devoir des femmes de parler, écrire et jeter la lumière sur les histoires, les œuvres, le travail, les destinés hors du commun et les combats des autres femmes. Car elles sont les premières concernées. Personne ne le fera à leur place. La manière de conter leurs histoires impactera sur leur présent et leur avenir. Les personnalités qui restent dans la mémoire collective, les faits marquants que nous retiendrons autant que ceux et celles qu'on décide d'oublier et de ne pas parler de leurs accomplissements façonnent la société dans laquelle nous vivons.
F. N. H. : L’espace de liberté, imparti à la femme, est rétréci, tel une peau de chagrin, puisque celle-ci ne peut foncer au-delà de certains tabous catégoriques…
D. D. : Je suis d'accord avec vous. C'est pour cela qu'il est essentiel de mettre l'accent, de façon continue et positive sur ce qu'elle est capable d'accomplir jadis comme aujourd'hui. Sans passé, nous n'avons pas de présent ni de capacité d'imaginer le futur.
F. N. H. : De quel apport à la cause féminine seraient vos deux publications ?
D. D. : Je suis une femme. J'ai des filles ainsi, sans prétendre être active pour aucune cause, j'ai choisi de raconter des histoires de femmes de caractère qui ont marqué leur époque. De façon ludique et avec des romans à suspense, j'aimerais juste rappeler qu'elles ont existé et qu’elles ont laissé des traces de leur passage.
F. N. H. : Il est malaisé de ranger vos livres sous une étiquette déterminée, ne le pensez-vous pas ?
D. D. : Justement, je ne voudrais pas ranger mes romans sous aucune autre étiquette que roman historique. Il s'avère que j'aime lire l'histoire romancée pleine de rebondissements et de mystères. Surtout quand les héroïnes sont des femmes alors j'écris le Genre que j'aime lire.
F. N. H. : Vous avez choisi l’histoire et la fiction comme supports du message que vous entendiez transmettre. N’est-ce pas ?
D. D. : Pas de message à part des romans à rebondissements qui nous permettent de découvrir ou de nous rappeler d'autres temps et de figures féminines intéressantes.
F. N. H. : Qu’est-ce qui justifie ce procédé rhétorique ?
D. D. : C'est très commun en Occident alors pourquoi pas ce procédé littéraire avec des ingrédients orientaux et surtout un point de vue oriental un peu à la manière Les Croisades vues par les Arabes d’Amin Maalouf.
F. N. H. : Cela vous a permis d’aller jusqu’au bout des choses, de mettre en évidence ce qui est latent…
D. D. : J'ai suivi le conseil de Fatima Mernissi dans Sultanes oubliées car ça correspondait à une passion littéraire chez moi.
F. N. H. : Serait-ce cette approche qui vous a conduit à mettre en «chapitre» des personnages fictifs ?
D. D. : On ne peut pas rentrer dans l'intimité imaginée des personnages historiques hors du commun sans inventer des personnages fictifs qui accompagnent leur parcours et interagissent avec eux.
F. N. H. : Il y a du réel et de l'irréel, du vrai et du mystique à la fois. Avez-vous voulu dessiner des archétypes ?
D. D. : Non pas vraiment.
F. N. H. : Certains de vos personnages, s’ils sont dotés d’une épaisseur psychologique ne font pas montre d’une unité comportementale. Est-ce à dessein ?
D. D. : Mon premier roman est une œuvre très romancée de la vie de Chajarat ed'Or, une femme qui a marqué l'époque des Mamlouk en Égypte au 13ème siècle et a suscité des polémiques jusqu'au 20ème siècle. Le 2ème Les Éveillées de Cordoue est une fiction, un roman policier, qui raconte une époque, les rois des Taifa en Andalousie au 11ème siècle. Mais qui surtout nous introduit dans l'intimité de Wallada la princesse et poétesse Omayyade, son histoire d'amour très connue avec le poète Ibn Zaydun.
F. N. H. : A travers vos personnages, vous instruisez la critique de votre (notre) société ?
D. D. : Non. J'aimerais juste que nous parlions plus de notre histoire de façon ludique, facile à suivre, humaniste et à tendance positive mais pas angélique avec nos mots pas ceux de l'Occident.
F. N. H. : Cette société déboussolée est celle-là même qui a soumis, à titre d’exemple, les publications de Fatima Mernissi au feu de la critique; beaucoup de griefs ont été exposés. Les débats étaient, semble-t-il, orageux et divergences d’opinion radicales. Qu’est-ce qui a donné, selon vous, lieu aux multiples tiraillements qui se sont manifestés ?
D. D. : Il est toujours bénéfique d'avoir des débats et des divergences sur tous les sujets de notre société. C'est ce qui permet d'avancer. La place de la femme, son accès aux postes de pouvoir et sa légitimité une fois arrivée restent des sujets pas complètement arrêtés. Il est normal que l'homme défend ses avantages et la femme doit continuer à se battre pour préserver ses acquis et en avoir plus, à la hauteur de sa contribution dans la construction de la société, qui est énorme dans toutes les sociétés orientales et occidentales.
Je voudrais terminer par dire que je pense sincèrement que l'homme et la femme sont complémentaires. L'un ne peut réussir sans le soutien de l'autre. Dans mes romans, mes héroïnes sont toujours soutenues par des hommes de leur famille ou de leur entourage. C'est, en plus de leur caractère, ce qui leur permet de déployer leurs ailes. Le père et le mari jouent des rôles primordiaux que ça soit dans la qualité de l'éducation d'abord et ensuite pour qu'elles puissent réaliser leur plein potentiel.
*Dans le cadre de ses rencontres littéraires mensuelles, la librairie Livremoi accueillera Dima Droubi, le jeudi 31 mars à 19h30, pour une rencontre/ signature autour de son livre «Les Eveillées de Cordoue».