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Phénomène social: pas tendre, la société !

Phénomène social: pas tendre, la société !

© Tarek Ananou «Grupo de niños migrantes en Europa»

 

Protection des enfants, des jeunes et des mères seules, l’association SOS villages d’enfants et l’Union européenne s’engagent ensemble et lancent le projet «Agir pour une amélioration de la protection sociale au Maroc».

 

Par R. K. Houdaïfa

 

Par sentiment de honte ou par crainte d’être maltraitées, beaucoup de mères célibataires, sinon la plupart, fuient les maternités. Pourtant, beaucoup d’entre elles ressentent l’envie profonde d’être une mère digne et exemplaire.

Une vie de chienne !

N., vingt-deux ans. En apparence. Car derrière son entrain de commande se dissimule une souffrance obstinément tue. Il y a quatre ans, elle était encore une oie blanche. Au milieu d'une famille besogneuse, elle coulait des jours mornes. Un jour, son prince viendrait, espérait-elle. Son vœu fut exaucé.

Elle fit la connaissance d'un jeune homme de vingt-cinq ans. Beau comme un astre, très poli. Elle en fut immédiatement éprise. Au fil de ses rencontres avec Mehdi, elle apprit qu'il vit en France. Un jour, il lui déclara sa flamme et la supplia de lui accorder sa main. Il irait rendre visite à ses parents, en compagnie des siens, dès que ceux-ci rentreraient de France, promit Mehdi. Gage de sa sincérité, il se mit à la couvrir de parfums et de bijoux. Confiante, elle prit l'habitude de l'accompagner dans l’appart qu'il avait loué. Un jour, le soleil implacable faisant fondre les ultimes résistances, ce qui devait arriver arriva. Elle perdit sa vertu. 

Il fallait se rendre à l'évidence : elle avait été la proie facile d'un tombeur sans scrupules. Le pire était à venir. Absorbée par son malheur, elle ne remarqua pas que ses règles ne s'annonçaient pas, et c'est au bout de deux mois qu'elle se rendit compte de son état. «Moi qui étais la chouchoute de ma famille, j'allais devenir sa honte. Je ne pouvais lui faire ça. Plutôt me pendre. Mais je n'en ai pas eu le courage. Après, j'ai pensé à me faire avorter. On m'a dit que ça se pratiquait. Mais où trouver la somme nécessaire ?»

Les bijoux reçus en cadeau ne valaient pas un clou. En désespoir de cause, elle se résolut à partir, loin, là où elle ne risquerait pas d'être l'objet d'un crime d'honneur, pratique encore courante chez les déshérités. Profitant de l'absence momentanée de ses parents, elle ramassa ses maigres effets et prit l'autocar. Elle était certaine qu'une bonne amie divorcée ne l'abandonnerait pas. L'amie en question, non seulement lui fournit le gîte et le couvert, mais était aux petits soins pour elle.

Jusqu'à la délivrance, veillée par une sage femme. Elle donna le jour à une fillette, qu'elle n'eut pas même le temps de baptiser. Dès le troisième jour, un rupin, prévenu par son amie, s'empara du nourrisson. Une semaine après, Mehdi se volatilisa. Elle commença à désespérer. Elle n'avait pas noté son adresse et elle ignorait jusqu'à son patronyme. L’appart était occupé par d'autres vacanciers.

Elle qui n'avait jamais bu une goutte d'alcool se fit engager comme serveuse dans plusieurs bistrots avant d'échouer dans un bastringue de la côte casablancaise. Elle y officie comme «bouchonneuse». Elle est payée au pourcentage sur les bouteilles qu'elle fait consommer aux clients. Peu farouche, elle permet au client des privautés furtives, et s'il se montre généreux, elle lui accorde volontiers les dernières faveurs, après la fermeture, dans son modeste meublé.

Sa fille, elle la revoit, de loin. «Ses parents adoptifs ne m'autorisent pas à l'approcher. Alors, je me pointe à la sortie de la crèche, et j'ai juste le temps de l'apercevoir, montant dans la voiture». Avec sa famille, N. a rompu les ponts. Sans doute la croient-ils morte. «Et voilà le fruit d'un instant d'égarement. Je me retrouve sans famille, sans mari, sans enfants, juste bonne à enivrer les hommes et à leur donner du plaisir. Une vie de chienne !».

Danse avec les loups

Une histoire dramatique, que viennent confirmer de trop nombreux récits de calvaires gravis par les mères célibataires. Quand M. raconte le sien, elle fond en larmes. Un corps d'enfant et des yeux de braise. Elle dit avoir vingt-quatre ans. Pourtant, elle est marquée par la vie. La mauvaise vie.

A dix-sept ans, elle est victime d'un viol collectif. Elle sera enceinte des loubards des bidonvilles «qui sont venus avec leurs couteaux, chacun ayant avalé beaucoup de comprimés, dans un terrain vague», pour abuser d'elle. «Certains puaient la colle, et disaient : viens ou alors on va te découper en morceaux...» Enceinte du groupe, elle sera récupérée par un souteneur du bidonville, «pour faire le ménage, satisfaire des notables du ‘hay’, et le soir, se prostituer». Une vie saccagée sans que la victime y soit pour quelque chose.

Et, que dire sur les femmes de ménage, particulièrement les plus jeunes – ces gamines qui ne savent même pas où s'arrête la charge de travail : dans la cuisine ou dans le lit du patron ?!

Qu'est-ce qui a poussé les femmes à «fauter», au risque d'être mises au ban de la société ? Au premier chef, le mirage du mariage. D’abord séduites – leurs partenaires leur font miroiter le mariage – abandonnées par la suite. Ainsi, l’on se demande si le déterminant majeur de ces situations (des adolescentes ou adultes ayant enfanté hors mariage) reste le manque d'éducation ?!

Dans ce triste tableau, les victimes sont les enfants. Ils en gardent des stigmates indélébiles. En outre, à moins d'être reconnus a posteriori par leurs géniteurs, qu'ils soient adoptés, choyés ou maltraités, ils restent des voyageurs sans bagage, avec des moments tronqués, menant une existence sans racine.

Une enfance volée

Poussés hors l’univers familial, entraînés sur la voie du vagabondage, de la mendicité et de la délinquance, ayant des désordres physiques et psychiques, souvent contraints, battus, soumis aux pires fantasmes : instabilité, agressivité, déni de soi, carence affective, perversion, énurésie, grossesse précoce... les ravages sont nombreux.

Combien sont-ils/elles en errance et sans défense ? Faute de statistiques fiables, on ne peut avancer un chiffre. Mais la détresse est omniprésente. Elle se manifeste sous de multiples dehors, poignante tel un remords. Elle s'épanouit sur les marges de plus en plus reculées de la ville et dans les campagnes désolées. Aujourd'hui, le fossé est infranchissable entre les in, protégés et bénéficiant des bienveillances sociales, et les out, rejetés à la périphérie chômeuse de la ville vénéneuse. Il suffit de parcourir la rubrique des faits divers des journaux pour s'en convaincre.

Pour rappel, les enfants, naguère au Maroc, n'étaient pas considérés comme des personnes à part entière. Des personnes qui ont des droits et des lois pour les défendre. Et qui restent néanmoins des enfants tant qu'ils n'ont pas dépassé l'âge de 18 ans, ainsi que le stipule la Convention internationale des droits de l'enfant, signée à l'ONU en 1989.

Pour des méthodologies d’accompagnement

Des vies broyées, des existences saccagées, des dignités bafouées, SOS Villages d’enfants Maroc s'en émeut. C'est dans le dessein de «permettre à des enfants, des jeunes sans soutien parental et des mères en situation de monoparentalité, de retrouver, en dépit d’un parcours difficile, un avenir meilleur», que ladite association a mis sur orbite «Agir pour une amélioration de la protection sociale au Maroc». 

«Fondé sur une approche basée sur les droits, (ce projet) s’inscrit en ligne directe avec la Politique publique intégrée de protection de l’enfance au Maroc, instaurée en 2015, qui constitue la réponse nationale de lutte contre toutes les formes de violence et d’exploitation des enfants.»

Cela reposerait sur l’amélioration, le renforcement et le suivi psychologique, éducatif et sanitaire des enfants accueillis; le développement d’une démarche qualité au sein des établissements de protection sociale de l’Association, prenant compte également des enfants en situation de handicap, dont la méthodologie pourra être partagée avec le ministère de la Famille, de la Solidarité, de l'Égalité et du Développement social auprès d’autres établissements de protection sociale du Royaume. 

Il convient de saluer l'initiative comme elle le mérite, tant enfants et jeunes se retrouvent délaissé(e)s. Toutes les passerelles doivent être réinventées pour reprendre le dialogue avec les jeunes, assurer leur insertion sociale dans la solidarité. Inventer de l'adulte là où il n'existe plus, inventer de la famille, retrouver les rites de l'initiation dans le désert de nos villes. Car, il est à craindre que nous n'ayons construit plus de places de prison pour les jeunes que de lieux d'apprentissage de la vie adulte.

Devenu visible, le phénomène des mères célibataires émeut associations et fondations, qui se portent au secours de ces mères de l'ombre et de leurs enfants. Mieux : inquiet de la situation, le projet prévoit également la création de «deux programmes de renforcement de la famille à Agadir et Salé». Et ce, afin d’accompagner «les mères seules à développer une éducation parentale respectueuse des droits de leurs enfants en matière d’accès à la santé ou à l’éducation. Les femmes cheffes de famille seront accompagnées à renforcer leur employabilité pour sortir de leur précarité économique». Un signe.

Est-ce suffisant ? Bien sûr que non. Il est temps de bousculer les vieilles certitudes et les tabous ravageurs. Au nom de milliers d’enfants sans racine et de femmes marginalisées.

 

 

 

 

 

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