Dans ce dix-huitième roman, Mamoun Lahbabi ne déroge pas à sa marque habituelle : raconter la vie des gens en essayant de sonder leur âme. «La rencontre»*, une nouvelle fois, consacre cet auteur comme un écrivain de l'intime dont la plume est nourrie autant de réel que d'imaginaire. Retour sur ce roman de douleur, de tendresse et de passion.
De Mamoun Lahbabi, j'avais lu une demi-douzaine de romans dans lesquels, à chaque fois, je découvrais une facette de cet auteur. Tantôt aimanté par les drames humains, tantôt chevillé aux passions, il reste toujours le scribe des sentiments qui remuent l'âme. Dans une écriture ciselée de façon à transmettre les émotions, il devient le témoin attentif de personnages souvent tourmentés par les vicissitudes de l'existence. Autant de tableaux où se déclinent des pans caractéristiques de la société. Car Mamoun Lahbabi est résolument un écrivain inscrit dans le roman social. Témoin de son temps, il s'attèle à en être un fidèle passeur.
C'est ce qu'il fait encore dans «La rencontre». Avec moult détails, il nous invite à partager la vie douloureuse d'une jeune mère livrée à la misère dans une ville où il est difficile de rester à la surface quand le manque et le dénouement frappent à la source même de la vie. Avec ses deux enfants, elle s'abandonne à la merci des hasards qui peuplent les jours de tous ceux dont les attaches matérielles sont rares. Jalouse à mourir de sa dignité, elle ne mendie pas et attend patiemment la main généreuse qui lui tendra une pièce.
Mais dans ce roulis infernal des jours, l'imprévisible demeure maître du jeu, inversant le cours des choses, suscitant des émotions nouvelles et agitant les cœurs. C'est bien ce qui se produit par un bel après-midi sous la lumière ombrée des arbres géants d'un square où elle avait posé son baluchon pour donner la tétée à ses bébés. Un homme entre deux âges, écrivain de son état, s'approcha et après quelques mots en guise de salut lui offrit un billet.
Poussé par une insondable curiosité nourrie de compassion et d'empathie profonde, il engagea une conversation sans détour polarisée sur sa vie. Un instant rétif à cette intrusion, elle s'ouvrit au partage sous l'effluve rassurante de l'inconnu.
Leurs rencontres se renouvelèrent, et au fil des jours les liens se tissèrent. Peu à peu, s'infiltrèrent des émotions, puis des sentiments. Le besoin de se voir, de se parler, de se confier devint intense. Elle offrit sa vie sans retenue mais avec la pudeur de celle qui dévoile ses sentiments sans les avouer. Et plus elle se livrait et plus les souvenirs affluaient, qu'ils fussent algiques ou heureux.
A son insu, Zaïda - c'est son nom-, se rapprocha de cet homme qui censure ses sentiments et auprès duquel elle oublia sa condition comme si ce qu'elle devenait, effaçait définitivement son état passé et présent. Comme si l'émotion ressentie lui procurait une nouvelle naissance dépouillée des miasmes qui encombraient son esprit.
Ainsi, lui dit-elle : «Le désordre dans ma tête brouille mes pensées et m'empêche de te dire ce que je veux te dire. Ne déroge pas à ta sincérité et à ton authenticité, et pour me convenir ne consens à aucun aveu. Quel que soit ton sentiment pour moi, je me contenterai de ton silence dans lequel j'inventerai toutes les partances, tous les rêves, tous les frissons (page 166)».
Plus qu'un aveu, ces mots le bousculèrent : «Il est des moments où la vie se pare de grandeur, où les mots ne sont plus bâillonnés ni par l'interdit ni par la vanité, où les mots claquent pour scander les tumultes de l'âme. Il est des moments où la vie est généreuse, où elle autorise la mutation des mots qui passent alors du service de la douleur au service de l'amour (page 167)».
«La rencontre» est un roman sur la grandeur de l'âme humaine quand elle n'est pas obstruée par le préjugé et le mépris mais au contraire animée par la générosité, la compassion et l'amour.
*Editions Orion. 180 pages. Mai 2022. Disponible en librairies