Le portrait d’un Marocain jeûneur est sommairement brossé. Betweenatna en a appréhendé les contours dans leur nouveau morceau «Zouwaka».
Par R. K. Houdaïfa
Légende photo : De gauche à droite : Abdessamad Bourhim, Said Gamha, Mohamed Laabidi (dit Oubize) et Said Mounna. © Chadi Ilias
Observons-le, un instant, notre ami jeûneur. Il arbore une figure d’enterrement et un teint cadavérique, histoire de montrer au Ciel que l’abstinence relève du supplice, et partant, mérite récompense céleste. Il s’agite, tourne en rond comme un lion en cage et fait preuve d’une incapacité à demeurer en place.
S’il n’est pas au travail, il occupe son temps vacant à apprendre un art de vivre pleinement reposant : la paresse. Aux ambitions effrénées, il préfère le dérisoire; aux valeurs de réussite et de progrès, il oppose la nonchalance; aux harcèlements du temps, il réplique par le culte de la lenteur; contre l’agitation fiévreuse, il revendique le droit de rester chez soi, de bayer aux corneilles, de flâner sans but et de contempler les merveilleux nuages. Mais là où il s’accomplit vraiment, c’est dans la sieste.
Notre ami jeûneur, fumeur invétéré en manque de nicotine, entre dans une rage folle aussitôt qu’un facétieux lui lançait l’impératif «Allume !»; connaît les prises de bec, pour un rien, qui tournent invariablement aux rixes; et en mari aimant rosse scrupuleusement son épouse bien-aimée, laquelle se vengeait sur ses chers marmots.
Quel ramdam ! Il guettait ces réjouissances, et au besoin les provoquait, tant elles lui permettaient de tromper sa faim. Il avoue qu’il s’amuse des fois. Surtout dans ces parties de football disputées avant le «ftour». Comme il avait l’estomac dans les talons, il ratait souvent le ballon, pour atteindre le tibia de l’adversaire. Et d’incident en incident, le match finissait en bataille rangée : insultes, éructations et coups de poing sont échangés allègrement.
Comme on les comprend ! Ventre creux n’a pas le cœur à rire. Car, convenez-en, comment peut-on raisonnablement solliciter sa bouche (pour un sourire) alors qu’on a les crocs ? Ventre affamé n’a point d’oreilles, dit-on. Pas davantage d’esprit, devrait-on ajouter. Ce qui me fait penser à relancer le débat sur le siège de la vie. Il se loge, prétendent les poètes arabes, dans le foie (ô ce regard dont la flèche a transpercé mon foie); il réside, soutiennent d’aucuns, dans le cœur; plutôt la tête, rectifient d’autres. Ce ne sont là que des fadaises. Le ventre est le siège de la vie. L’homme est une créature vorace, et, pourvu qu’on lui jette assez de nourriture, il peut donner de lui, pendant tout le temps que dure sa digestion, des choses excellentes.
D’où l’intérêt, propose l’écrivain Bonaventure, de laisser jeûner périodiquement les citoyens «comme des chiens qu’on veut dresser pour en faire des artistes. Pour un plat, les poètes chantent comme des rossignols, les philosophes construisent des systèmes, les juges condamnent, les médecins guérissent, les curés vocifèrent, les ouvriers battent l’enclume, et l’Etat fait du lard».