Abidjan, «une ville très festive», se desséchait d’événements à la «cool, chill et non bling bling». Une bande de copains (Aurore Aoussi, Aziz Doumbia, Charles Tanoh-Boutchoue, alis Blackcharles, Jeune Lio, aka Lionel Mbita Obam et Fayçal Lazraq) met tout en œuvre pour la guérir de sa léthargie. Nous avons parlé à l’un d’eux.
Par R.K.H
Abidjan a charmé Fayçal. Il tombe sous sa coupe, s’y implante. «C’est une ville très festive. Il y a la fête partout, mais ce qui manquait, c’était des événements qui soient cool, chill et non bling bling», concède-t-il, mais tellement ensorcelante qu’on ne résiste pas à son appel. «J’y suis très attaché, avec des irritations, bien sûr, à propos de choses qui s’y passent ou plutôt qui ne s’y passent pas». Alors, il s’y installe. Homme d’alerte et de conviction, Fayçal ne se contente pas d’épuiser les délices de sa ville bien-aimée, il se fit le devoir généreux de participer à son mieux-être culturel, en «fomentant» avec ses fidèles complices La Sunday.
Grand-messe abidjanistique
Une torpeur subite s’abattit sur la dream city. Abidjan rentra dans les rangs. Plus rien ne subsistait d'exaltation «chill», de son bouillonnement «cool», de sa fièvre généreuse. Abidjan est un temple de la fête, mais elle ne bouillonnait pas d’activités culturelles qui «rassemblaient un grand public». Mais les amants éperdus de la ville ne pouvaient tolérer qu’elle soit ainsi avalée par la sinistrose. Aussi mirent-ils un point d’honneur à la faire culturellement renaître.
Puisant dans leurs propres fonds, ils mirent sur pied, il y a quatre ans, La Sunday. «A la base, c’est parti d’un constat où il n’y avait pas beaucoup d’événements sans pression, ainsi qu’ouverts au public (…) Alors, on s’est dit pourquoi ne pas faire un petit truc entre ami.e.s.» Les premières prestations furent fort abouties. «Il y avait 50 personnes durant la première édition. Six mois après, on a compté 6.000 personnes (sourires)».
Mais la bande sont des battants, ils n’affichent pas une satisfaction et continuent de remuer ciel et terre pour que leur rendez-vous rencontre sa plénitude et puisse s’exporter sous d’autres cieux. «Notre objectif : devenir le plus gros festival Ouest Africain. Et ce, dans le dessein de créer des ponts avec d’autres régions et d’autres pays». Ce qui ne fait pas d’ailleurs défaut à La Sunday.
«C’est devenu un phénomène incroyable qui dépasse les frontières de la Côte d’ivoire. Aujourd’hui, nous donnons un festival chaque année en décembre et des événements en collaboration avec d’autres collectifs d’un peu partout au cours de l’année. Nous avons fait des initiatives avec des Ghanéens, des Parisiens, des Suisses. Nous étions, récemment, à la biennale de Dakar (nous avons pu drainer 1.000 personnes) et bientôt nous serons au Maroc».
Peace, man !
Cette manifestation a tissé avec les habitants de la ville un réseau de convivialité unique qui irradie Abidjan et balaie les clivages d’âge et de milieu. «C’est l’un des premiers événements où tu pouvais y croiser des Ivoiriens, des Libanais, des Français… C’est très éclectique. Un vrai melting pot !»
On ne peut expliquer le succès de La Sunday sans ce retournement copernicien de la fête qui snobe les chic et choc. Ce n’est également pas qu’un moyen de distraire, mais un parti pris qui a tout à voir avec la philosophie de proposer de la musique, d'être un outil de découverte et de promotion, mais aussi et surtout de prôner la dynamique et l'effervescence d'une scène locale.
«Au début, nous nous produisions deux fois par mois, mais pour l’heure, nous sommes arrivés à trois, jusqu’à quatre événements par an (en plus du festival en décembre). C’est devenu tellement grand que cela nécessitait énormément de temps, d'énergies, d'infrastructures pour l’organisation… C’était mieux pour nous de réduire la fréquence et de faire des événements plus pointus que simplement d’en donner autant.»
Les fonds manquent. Mais quand on a la foi… La foi. Les organisateurs l’ont chevillée à l’âme. La foi dans la renaissance culturelle de la ville pour laquelle ils vouent un culte fervent.
«Les deux premières années, nous étions indépendants (...) La plupart du temps, on prenait des lieux vides et on montait notre soirée avec nos propres moyens.» Ils ne savent pas forcer la main. Autoproclamée comme «la principale communauté de la fête à Abidjan», La Sunday a de fait réussi à rester underground. Ce qui est un miracle quand on sait que les marques ont pris part à sa fête. Mais ses racines protègent jusqu’à présent la réputation du «truc le plus cool et ouvert à tout le monde».
«Aujourd'hui, nous avons de la chance d’avoir des sponsors qui nous soutiennent, certes, en y faisant appel, c'était indubitablement pour fortifier la marque. Soit. Nous gérons tout, nous-mêmes, de A à Z.»
Contre vents et intempéries
En arpentant le territoire des anecdotes autour de La Sunday, Fayçal nous fait le récit d’une journée pleine de rebondissements : la météo avait joué, un jour, avec les nerfs des fans de La Sunday. Après bien des tergiversations, elle a fini par être annulée pour, finalement, être maintenue.
Rebobinnement. Un vent à décorner un taureau, de gros nuages qui défilent et une pluie diluvienne s’abat sur la ville, la transformant rapidement en un gigantesque bourbier. Il ne fait alors plus de doute pour personne que si le ciel continue à déverser des trombes d’eau, la tenue de La Sunday est complètement compromise. «Il y avait énormément de trous dans la toiture du hangar…» Encore faudrait-il que le ciel y mette du sien. Or, au vu des hallebardes qu’il décroche, en cette journée de l'événement, on peut s’en inquiéter.
«Nous avions encore une chance de réduire notre perte financière en annulant tout de suite». Ce qui fut fait. A 13h, ils annoncent l’annulation pure et simple de La Sunday. «Il y eut une déferlante de textos qui disaient : ‘et même s’il pleut, on va venir… on s’en fout ! N'annulez pas…» Les participants sont effondrés. On leur a promis de la fête à gogo, ils se retrouvent sous un déluge de pluie, privés de musique et de fête. Le voyagiste les aurait grugés. Comme s’il pouvait faire la pluie et le beau temps.
De leur côté, les organisateurs n’en mènent pas large et se préparent à faire leur deuil d’une manifestation pour laquelle ils se sont dépensés des semaines durant. «Nous avions déjà annulé avec nos prestataires. Le matériel a été remballé, la sono rangée…» Le nombreux public ne cacha pas sa déception. «Nous avions eu tellement de message que l’on s’est dit : ‘allez, les gars on se la fait !!!» La nouvelle a été aussitôt rectifiée.
A 15h les gens ont commencé à se succéder, ignorant le déchaînement des éléments naturels. Il faut jouer des coudes pour se frayer un chemin parmi la nuée de visiteurs qui en obstruent l’entrée.
Pendant ce temps, «comme il n'y avait pas de musique et en attendant que les camions reviennent, certains ont commencé à chanter, d’autres ont installé des enceintes…» À 17h, c’est parti pour des heures de musique, qui furent autant de moments de bonheur.
«La pluie s’est même arrêtée à cette heure-ci. Il fallait voir, tout le monde était heureux. Mémorable ! J’étais fou de joie», raconte Fayçal. Il n’y a pas que lui qui soit fou. Nous avons nous aussi un petit grain.
«Cette ville est unique», dit-il. Tellement unique qu’on y perd son âme avec délices, se seraient écriés les spectres qui hantent l’Afrique.