Par Abdelhak Najib
“L’homme qui tua la lune” de Abdallah El Amrani aux Éditions Orion.
Abdallah El Amrani est journaliste. Tout au long des 400 pages de ce roman fleuve, nous ressentons cette verve journalistique qui s’apparente à l’investigation, à l’enquête, au reportage historique. Mais la narration et le souffle sont ceux d’un romancier aguerri.
Tout y est : le rythme soutenu, le style propre qui invente ses propres règles, la force narrative, le passage d’un registre romanesque à un autre, le tout, avec autant de maîtrise et d’aisance. L’auteur réussit le pari de concilier entre le style éditorial qui a marqué ses écrits journalistiques et la narration romanesque qui semble mettre à sa disposition des moyens nouveaux pour faire une autre lecture de l’Histoire entre levée de voile et démystification.
Roman historique s’il en est, « L’homme qui tua la lune » se lit comme une saga, celle d’une région, et partant, d’un pays, enter hier et aujourd’hui. L’auteur revient sur des pans inconnus de notre histoire collective et les déterre pour les remettre au goût du jour, dans une approche romanesque entre le récit historique qui s’appuie sur des faits concrets et la fiction, qui remplit, ici, sa fonction de liant entre vérité et faux-semblants.
Car le propos de ce roman et de démasquer les fausses vérités de l’Histoire oubliée d’un pays qui se doit de reconstruire cet héritage séculaire si méconnu.
C’est dans ce sens que Abdallah El Amrani revient sur ce passé radieux que les Marocains devraient revendiquer aujourd’hui, à un moment où le flou couvre de son voile opaque la grandeur d’un peuple et l’enracinement d’une nation.
Tous ces temps forts de notre histoire défilent entre les lignes pour créer des univers multiples qui versent tous dans une unique direction, comme, à titre d’exemple : faire revive l’épopée fantastique du Chérif d’Ouezzane, entre autres figures et situations. L’auteur évoque à maintes reprises ce grand Chérif d’Ouezzane et son épouse, l’Anglaise, Lady Emily Keene... d’ailleurs, la maison de Moulay Ahmed, un des deux fils du fameux couple mixte tangérois à Ouazzane, est celle qu’habite depuis soixante ans la famille du défunt frère de l’auteur.
Quand la grande Histoire rejoint la petite, celle d’une famille, entre autres, qui voit sa destinée liée aux grands tournant de tout un pays. Les connaisseurs peuvent rencontrer cette femme d’une autre époque au détour d’une lecture de son livre autobiographique, intitulé « L’histoire de ma vie ».
Abdallah El Amrani plonge plus profondément dans cette histoire pour nous restituer l’influence de la maison d’Ouezzane (Dar Dmana) dans un pays comme l’Algérie. Au point que les services français de l’époque estiment, en 1872, le nombre des affiliés à la confrérie dans la seule ville d’Oran à plus de vingt mille adeptes. C’est dire toute l’actualité d’un roman à un moment où toute la région du Maghreb vit au rythme d’un conflit qui n’en finit pas et dont le Maroc sort à chaque fois vainqueur.
Toute cette complexité du propos nous est livrée à travers le personnage de Youssef qui découvre que l’inaction est traîtresse et donne corps, souvent, à des vérités suspectes. C’est dans ce sens que le romancier se trouve ici, impliqué, malgré lui, dans un événement historique qui le dépasse, mais qui imprime en filigrane, toute la trajectoire du récit. Comme c’est le cas, avec la découverte de la bataille de Salé de 1851. Une station historique majeure dont nos manuels scolaires ne parlent jamais.
Pourtant, c’est là une date charnière dans l’Histoire du Maroc. Roman-clef de toute une époque, « L’homme qui tua la lune » est un récit qui va au-delà du territoire géographique marocain pour englober tout le Maghreb et l’histoire des occupations multiples de la région. Roman très actuel, c’est un témoignage documenté sur le passé qui éclaire le futur.