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hORIEzoNTALISME : Les artchimistes

hORIEzoNTALISME : Les artchimistes

L’exposition «hORIEzoNTALISME», qui se poursuit jusqu’au 22 avril à l’Artorium, avait proposé à un septet de rebelles de créer ou sélectionner des pièces à faire dialoguer avec son manifeste. Jouissives et complexes.

Par R. K. Houdaïfa

 

Dans une lettre adressée à son amante Louise Colet, Gustave Flaubert écrivait : «La femme orientale est une machine et rien de plus; elle ne fait aucune différence entre un homme et un autre homme. Fumer, aller au bain, se peindre les paupières et boire du café, tel est le cercle d’occupations où tourne son existence». En substance, elle serait un être tourmenté par la chair, passant le plus clair de son temps à se faire une beauté à des fins séductrices.

C’est ce même prisme déformant que reflètent les toiles des peintres Delacroix, Matisse, Joseph de la Nézière, Edouard Edy-Legrand, Henri Jean Pontoy, Jules Galand, Jacques Majorelle…

Reste à savoir si leur représentation est aussi réaliste, aussi fidèle, aussi soucieuse de vérité qu’ils le prétendent. Si les palettes «exotiques» cueillent souvent des éléments réels (la porte de Meknès que Delacroix montre, existe vraiment, le sultan a existé aussi), l’Orient qu’elles brodent est cousu de fil blanc. Lorsque Henri Regnault peint à Tanger, en 1870, «L’exécution sans jugement du calife de Grenade», il restitue des scènes totalement fallacieuses, mais radicalement conformes au cliché occidental de l’Oriental sanguinaire. Quant aux nonchalantes odalisques de Delacroix ou de Matisse («La Mauresque»; «Odalisque au fauteuil turc»), figées dans des postures lascives, elles sont des créatures irréelles incarnant les obscurs désirs de leurs créateurs. On peut en dire autant de ces femmes entassées dans un bain ou confinées dans un gynécée, qui engluent les toiles orientalistes.

Tout le projet de la peinture orientaliste est de faire croire à une représentation «réaliste», à la vérité de la mise en scène de l’Oriental farouche ou de la musulmane soumise. D’où cet Orient de bric et de broc, où le décor ne parait étrange, aux yeux de l’Occidental, que pour mieux masquer ses fantasmes. Quels sont-ils ? Voir La femme orientale – marocaine, algérienne, turque – réduite à l’état d’odalisques –, généralement dans une pose alanguie, nudité insatiable offerte à la jouissance du mâle passant, corps sans âme, tout juste un sexe, pas une once d’esprit -, passant son temps recluse dans un harem, ou à se faire belle pour séduire l’homme. Fantasme, quand tu nous tiens !

 

Refus

L’exposition, qui jamais ne se fourvoie dans l’exhibition conceptuelle, mérite le détour. Pour trois raisons. La première tient à la richesse des pièces rassemblées : une quarantaine d’œuvres commises par 7 artistes contemporains. La deuxième raison réside dans la facture remarquable des œuvres exposées, qui illustrent la bonne tenue des arts marocains, gage de leur réputation constamment honorable. De fait, cependant que la chanson s’essouffle, que le théâtre enchaîne les bides et que le cinéma ne voit pas toujours clair, l’art ne faillit jamais à son devoir d’excellence. La troisième raison se trouve liée à la portée pédagogique de l’exposition.

«hORIEzoNTALISME». Le titre coupe l’herbe sous le pied. D’entrée de jeu, les artistes signalent qu’ils refusent de se complaire aux attentes édictées par l’Occident, et s’attache à analyser les «formes nouvelles que peut prendre un orientalisme contemporain (1)». A l’espace d’art de la Fondation TGCC, l’Artorium, le chorégraphe-plasticien Youness Atbane et le dramaturge Jules Henri Julien ont réuni 6 artistes qu’unit la même aversion pour l’orientalisme (Salim Bayri, Amina Benbouchta, Youssef Ouchra, Mohammed Elbaz, Simohammed Fettaka et Hanne Van Dyck), et attentifs aux questions de diaspora, de migration ou d’héritage. La plupart ont déjà été vus au gré de différentes expositions. Beaucoup d’entre eux se connaissent et ont exposé ensemble. Réunis, ils tracent – comme dit – un portrait de la création contemporaine au Maroc. Une autre scène marocaine où l’on trouve une diversité de pratiques qui, entre elles, abordent des questionnements de l’époque.

En donnant à voir des pièces qui dialoguent silencieusement entre elles, dans la mesure du possible, «hORIEzoNTALISME» se voudrait effort, écrivent les curateurs, un effort d’autoanalyse dont il est loisible de décliner : «quelles injonctions, plus ou moins conscientes, plus ou moins formulées, à se conformer à des représentations plus ou moins convenues, plus ou moins accréditées, influent-elles les travaux artistiques et intellectuels sur la région Moyen-Orient Afrique du Nord ? Comment ces forces s’exercent-elles, et tout d’abord en nous, artistes et intellectuels ? Quel jeu (au sens ludique comme au sens d’intervalle entre des pièces) est-il possible de mettre en œuvre pour (in)adapter les travaux aux attentes, réelles ou supposées, des institutions intellectuelles et culturelles, publiques ou privées, arabes et occidentales, et peut-être, tout autant, aux attentes des consciences individuelles ? (2)»

Avec «hORIEzoNTALISME», Salim Bayri, Amina Benbouchta, Youssef Ouchra, Mohammed Elbaz, Simohammed Fettaka, Hanne Van Dyck et Youness Atbane secouent le cocotier des valeurs désuètes, sonnent la charge contre la mièvrerie, la fadeur ainsi que l'orientalisme auxquels l’art marocain est enclin, selon le bon vouloir des consécrateurs.

«Nous nous rassemblons non pas dans un esprit de réconciliation molle (qui nierait les dominations persistantes), mais dans un effort, un effort situé, pour exprimer les difficultés à œuvrer dans le champ des représentations sans s’aliéner aux injonctions d’un regard néo-orientaliste (3)».

«hORIEzoNTALISME» est un refus; celui de se contenter de répondre aux représentations dominantes, d’accepter de forcément faire sens ou d’être lisible. Il en résulte un ensemble jouissif d’œuvres joyeuses, ambiguës, légères, piquantes et complexes. 

(1)(2) (3) propos tirés du manifeste.

 

L’oreille en coin
Certains pensèrent que «HORIEZONTALISME» s’agissait d’une provocation. Un visiteur armé d’un parapluie en contempla d’un air professionnel que quelques œuvres et conclut bruyamment afin, sans doute, d’être entendu des deux femmes élégantes qui n’avaient même pas daigné entrer dans l’espace : «C’est horrible, mais c’est bien». La phrase trotta quelque temps dans la tête de ceux qui l’avaient entendue, qui se demandèrent ce qu’il pouvait y avoir d’horrible dans une recherche aussi poussée… D’autres évitent de s’y arrêter de peur de ne pas comprendre et de ne pas pouvoir en parler. Or, rien n’est plus difficile que d’accepter et de ne pas comprendre (et de se taire), humilité paradoxalement nécessaire à toute connaissance et dont l’absence induit souvent la tentation de détruire, comme le ferait un enfant écrasant un insecte, l’objet incompris – ici, l’art contemporain. Soit. Ceci nécessite du temps, aurait dit le bon sens; l’art ne se livre pas illico; il résiste aux discours intellectuels préfabriqués, aussi éphémères que les modes vestimentaires – rappelons qu’autres fois Sartre et Foucault écrivaient sur la peinture de Rebeyrolle, mais que leurs œuvres possédaient aussi une dimension artistique. Or, non seulement nous voulons comprendre, mais nous voulons comprendre vite (et c’est peut-être l’une des raisons du succès actuel de la photographie) afin de parler encore plus vite et d’exprimer, suprême vanité, le pouvoir de la pensée sur l’art.

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