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Histoire: l’art, au fil de l’eau

Histoire: l’art, au fil de l’eau

Depuis toujours, l’eau est source d’inspiration artistique. Au temps de l’Égypte antique déjà, la représentation de l’ondulation de l’eau était l’un des hiéroglyphes les plus utilisés.

Représenter l’eau a toujours été un défi pour les peintres et les artistes. En effet, si l’eau est un concept qu’il est relativement facile d’appréhender– bien qu’il puisse se présenter sous différents états, non seulement liquide, mais aussi solide ou vaporeux –, sa représentation pose d’innombrables problèmes, suivant ce que l’on cherche à montrer : estce l’eau comme étendue, comme volume, comme surface, comme limite, comme matière, comme ligne d’horizon ?

La plupart de ces aspects relèvent de techniques spécifiques. Ou encore, s’agit-il de montrer l’eau calme ou agitée par un courant, l’eau qui stagne ou se répand, avec ou sans reflets ? Est-elle transparente ou opaque, est-elle un milieu ? Et quelle est sa couleur ? Autant de questions qui montrent l’étendue des difficultés auxquelles les artistes ont été confrontés. Par ailleurs, quand on parle de représentation picturale de l’eau, il faut s’entendre : l’eau a très rarement été un motif direct de représentation dans la peinture occidentale jusqu’au XIXème siècle.

La raison en est l’organisation de la peinture et la hiérarchie des genres qui a longtemps prévalu. Il existe bien le genre des «marines», mais le plus souvent c’est moins la mer qui en est l’objet qu’un port, des bateaux, un combat naval... L’eau apparaît donc avant tout comme un motif secondaire, parfois un exercice de virtuosité technique : comme un verre d’eau dans une nature morte hollandaise ou l’eau qui se répand de la cruche dans La Source d’Ingres (1856).

 

Miroir

Dans la tradition occidentale, l’eau a été considérée, à partir d’Empédocle (Vème siècle av. J.C.), comme l’un des quatre éléments. Cette conception perdurera au moins jusqu’à la Renaissance. Ainsi, Léonard de Vinci continue-t-il d’envisager l’eau en relation avec les autres éléments : «la surface de l’air est bornée par le feu, comme l’eau par l’air et la terre par l’eau». Elle aura des conséquences pour les peintres de la Renaissance, qui associeront une couleur picturale à chacun des éléments, sans qu’il y ait toujours accord. Pour Giovanni Paolo Lomazzo, l’eau est blanche. En revanche, pour Leon Battista Alberti et Léonard, elle est verte. Ajoutons cependant que dans ses carnets de notes, Léonard observait, en dehors de la peinture, que l’eau pouvait prendre toutes les couleurs. Dans la mesure où la hiérarchie des genres picturaux a favorisé la peinture d’histoire, nombreux sont les emprunts à la mythologie ou à la Bible où l’eau est omniprésente, sans qu’elle soit le plus souvent le motif central de l’œuvre, comme dans La Naissance de Vénus.

Quant aux innombrables versions de Diane au bain ou de Suzanne et les vieillards, elles n’ont qu’un lien indirect et trivial avec l’eau : pour se baigner, il faut d’abord se déshabiller, de sorte que le thème est un prétexte pour peindre des nus ou une scène de voyeurisme. Le cas du mythe de Narcisse est un peu différent, car il repose sur une propriété de l’eau comme surface réfléchissante, mais qu’une moindre brise peut troubler.

Il est intéressant de noter qu’Alberti, soucieux d’élever la peinture au rang d’art libéral, considérait Narcisse comme «l’inventeur de la peinture» : «s’il est vrai que la peinture est la fleur de tous les arts, alors la fable de Narcisse convient parfaitement à la peinture. La peinture est-elle autre chose que l’art d’embrasser ainsi la surface d’une fontaine ? (1435)». Cette conception de l’eau comme miroir explique l’importance qui lui est conférée, Léonard considérant également le miroir comme le maître du peintre.


Mouvement 

Une question se pose : pourquoi l’art occidental classique a-t-il souvent privilégié la représentation de l’eau comme une surface lisse, sans rides ? La raison en est sans doute l’importance des théories idéalistes. Comme l’a noté Charles Blanc au XIXème siècle, à propos des nuages : «comment découvrir la forme normale de ce qui est naturellement informe ?». Aussi, les peintres académiques ont-ils avant tout privilégié le stable sur l’instable, le permanent sur l’accidentel, l’eau stagnante sur l’eau en mouvement. Il y a cependant des exceptions. L’une des plus notables est Léonard de Vinci, qui a consacré une quantité considérable d’observations et de croquis aux mouvements de l’eau : vagues, remous, turbulences, tourbillons, flux et reflux, inondations, chutes d’eau, écume, pluie, déluge... Il avait d’ailleurs envisagé de publier un Traité de l’eau.

Il en va de même pour la riche tradition orientale. La fameuse Grande Vague d’Hokusai (1831), qui a exercé une grande influence sur l’art occidental de la fin du XIXème siècle, n’est que la crête de la vague, le motif étant déjà admirablement présent au Japon chez Ogata Körin (1658-1716), contemporain du peintre et théoricien chinois Shitao, pour qui les vagues, les tourbillons et les marées font partie des qualités de l’eau (en étroit rapport avec celles de la montagne). Dans l’art occidental, le XIXème siècle marque un tournant en mettant l’accent sur l’instabilité des phénomènes météorologiques. Tel est le cas de Turner, qui s’est passionné pour les tourbillons, la pluie, les tempêtes, la brume et la vapeur. Aussi, n’est-il pas étonnant que John Ruskin, qui a beaucoup contribué à le faire comprendre, consacre de nombreuses pages de ses ouvrages à la représentation de l’eau et s’insurge contre l’emploi de lignes horizontales, quand ce sont les reflets qui doivent être rendus, les «lignes d’agitation de la surface».

Les impressionnistes, Monet en particulier, puis les néo-impressionnistes, Signac avant tout, s’attacheront tout particulièrement à rendre les vibrations de la surface et ses scintillements lorsque les rayons du soleil la transforment en autant de miroitements. L’intérêt pour les ondulations de la surface de l’eau ne s’arrête pas au XIXème siècle. Le peintre anglais David Hockney les représente également dans sa série des piscines, en s’inspirant de photographies. Dans l’art, le thème de l’eau est abondamment traité au cours des siècles. Omniprésente dans l’univers, à la fois source de vie et d’énergie et symbole riche de significations, l’eau est maintes fois chantée par les poètes et les écrivains. Elle emplit de ses notes parfois suaves, parfois âcres les compositions des musiciens : Hendel avec «WaterMusic» ou encore Frédéric Chopin avec «Prélude à la goutte d’eau» qu’il écrit à Majorque lors de son voyage avec George Sand…

 

L’eau, un élément aux multiples facettes
L’eau joue de ses divers visages pour être tour à tour douce, salée, fraîche, jaillissante, stagnante, déchaînée, cristalline, sombre… Il est donc naturel que cet élément aux multiples facettes devienne une source d’inspiration inépuisable pour les artistes. Les représentations iconographiques se classent essentiellement en deux catégories. Tout d’abord, l’eau revêt une dimension allégorique : le fleuve, l’océan, la rivière, la source est personnifiée sous les traits d’un homme ou d’une femme. Elle peut aussi devenir l’attribut d’un personnage ou d’une divinité. L’eau fait également l’objet d’une figuration naturelle qui se rapproche plus ou moins du réel. Si elle apparaît limpide et transparente, contenue dans un verre ou un pichet, au sein d’une nature morte, elle est surtout un élément essentiel du décor paysager. Située, dans un premier temps, en arrière plan d’une scène religieuse ou mythologique, l’eau sous la forme d’une mer, d’une cascade, d’un lac ou d’un cours d’eau se retrouve dans de nombreuses représentations du paysage rendu autonome. A la fin du XIXème siècle et surtout au XXème siècle, elle devient pour les artistes un véritable élément de la recherche esthétique.

 

 

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