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Hammadi Ammor: monstre sacré du théâtre et voix culte

Hammadi Ammor: monstre sacré du théâtre et voix culte

Dans les années 40, quelques hommes de feu et de cœur ont œuvré à l’épanouissement du théâtre marocain, qui venait d’éclore. Hammadi Ammor, décédé vendredi dernier (Journée nationale du théâtre) à l’âge de 90 ans, est de ceux-là.

 

Par R. K. Houdaïfa

 

Hammadi Ammor fut précocement pris de fièvre théâtrale. Ainsi, n'hésita-t-il pas à sacrifier ses études qu'il suivait distraitement à Fès, pour se consumer délicieusement à sa passion. Et le voilà déboulant à Casablanca sans aucun viatique, si ce n'est son ambition ardente de monter un jour sur les planches. Il avait à peine seize ans, l'âge des rêves insensés. Les siens l'étaient, puis se transmuèrent en réalité par le miracle d'une rencontre. En effet, un comédien, dont il força l'amitié, était engagé dans une troupe théâtrale. 

Hammadi Ammor demanda à l'accompagner aux répétitions. Il s'empressa d'exaucer son vœu. L'adolescent prit l'habitude de s'y rendre et de s'émerveiller avec un pincement au cœur. Que ne donnerait-il pour franchir l'étroit passage entre la salle et la scène ! Mais la pièce était presque prête, les rôles déjà répartis, les personnages définitivement campés. Coup de théâtre  : un des acteurs déclara forfait. Hammadi Ammor vit dans cette défection un signe du destin; il s'empressa de proposer ses services.

Le metteur en scène, un Français, fut médusé par une telle audace, puis impressionné par la fougue du tendre postulant  : il lui donna sa chance. Bien lui en prit. Car l'apprenti comédien s'acquitta de son rôle avec l'aisance d'un vieux briscard, pendant les répétitions. Il fut encore plus imposant le soir de la première, au défunt Théâtre municipal, brûlant les planches et happant le regard du public conquis par son étonnante maestria. Cela se passa le 18 février 1948, une date – qui fut – indélébilement incrustée dans la mémoire de Hammadi Ammor. Un exploit sans lendemain.

Une gloire évanescente. A cause d'une sommation  parentale. Craignant que leur enfant ne perdit son âme dans les bras tentaculaires de la sulfureuse métropole, les parents de Hammadi Ammor lui ordonnèrent de rentrer prestement dans le giron familial. Ce qu'il fit, la mort dans l'âme. Illusions perdues ? Non, car le destin veillait. Dès son retour à Fès, il fut sollicité de monter la pièce dans laquelle il s'était distingué à Casablanca : Je suis le meurtrier. La version qu'il en fit recueillit une adhésion unanime. Auréolé de cette réussite fulgurante, le tout jeune homme appareilla vers la ville qui l'avait révélé.

C'était à Casablanca où s'accomplissait l'œuvre. Et Hammadi Ammor entendait s'accomplir. Il fonda une troupe «Arrachad Al Masrahi» devenue quelque temps après «Al Manar Al Masrahi», dont les prestations étaient fort prisées par le public, mais vues d'un mauvais œil par l'occupant. Il faut dire que le contexte était sensible.  Le Maroc secouait ses fers et le théâtre devait soutenir cette volonté impérieuse d'émancipation. Mais comment insinuer des messages libérateurs sans tomber dans les rets de la censure sourcilleuse ? Hammadi Ammor usa de mille subterfuges pour passer entre les mailles des filets vigilants. «La conquête de l'Andalousie» et «Saladin», pièces aux titres pourtant évocateurs, passèrent comme une lettre à la poste, au nez et à la barbe de l'occupant. En revanche, «Le clou de Jeha», qui se présentait comme une fantaisie anodine, l'incommoda. Il y vit malice instigatrice et décida de sévir.

Hammadi Ammor dut prendre la poudre d'escampette. Il parvint, par d'infinis tours et détours, au Caire, où il demanda refuge. On était à l'orée des années cinquante. A son retour, Hammadi Ammor rejoignit la très fringante troupe du  théâtre radiophonique formée d’Abderrazak Hakam, Larbi Doghmi, Amina Rachid, Habiba Medkouri, Hammadi Tounsi, Mohamed Hammad Lazrak, et dirigée de main de maître par une figure emblématique, Abdallah Chekroun.

La radio marocaine était encore à ses premiers balbutiements. Son plus beau fleuron était l'émission théâtrale que les auditeurs guettaient rituellement le jeudi et le dimanche soirs. Heureuse époque qui forme en nous, autour de nous, une mémoire scintillante… Hammadi Ammor coula une retraite paisible, dont il ne s'extrait que rarement, juste pour ne pas désobliger un ami qui l'invite à jouer un rôle dans une pièce ou un film.

Le reste du temps, il le passait essentiellement à savourer les souvenirs de tout ce que l'existence lui a accordé en partage. Il en faisait son miel. 

 

*A sa famille, ses ami(e)s, Finances News Hebdo présente ses sincères condoléances.

 

 

 

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