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Hakima El Atrassi à cœur ouvert

Hakima El Atrassi à cœur ouvert

L’humoriste Hakima El Atrassi sort du mutisme et parle sans fard de son passé douloureux.

L’artiste aux multiples facettes met en avant son roman «Odyssée nocturne» sorti le 13 février 2021.

 

Propos recueillis par Ibtissam. Z.

 

Finances News Hebdo : Quel effet cela fait-il quand on achève un livre autobiographique, avec tout ce que cela comporte comme charge émotionnelle, sachant que les faits racontés sont poignants et marquants  ? «Odyssée nocturne» est plus qu’un témoignage, est-ce un cri du cœur voire un déchirement ?

Hakima El Atrassi : L’effet est celui d’un accouchement, j’ai l’impression d’avoir donné naissance, ce livre est mon bébé. Maintenant, je sais qu’il faut le nourrir, le faire grandir afin de toucher un large public. En effet, j’ai relaté des étapes douloureuses de ma vie, mais ma volonté était de faire jaillir du positif. Ce livre, je ne l’ai pas écrit uniquement pour moi, j’espère être le porte-parole des femmes qui sont dans le silence et même les hommes. Peu importe, je ne pense pas que la douleur ait un genre. Il faut rompre le silence, les tabous et les nondits qui sont un véritable cancer qui gangrène toutes les personnes touchées, violentées, psychologiquement et physiquement. Si mon livre contribue à sauver des vies, même une, ce sera pour moi une réussite. Si je devais m’adresser à mes lecteurs, je leur dirais que dans le silence, il n’y a pas de solution. La meilleure thérapie est la confidence. L’écriture a eu un effet thérapeutique sur moi; j’ai plusieurs émotions dans le livre que j’avais occultées. «Odyssée nocturne» est une réconciliation avec moi-même, un apaisement, une libération et non pas un déchirement. L’excellent Ahma D. Amir a coécrit le livre; c’est aussi un projet qui n’aurait pas vu le jour sans l’appui de Jean-Claude El Fassi.

 

F.N.H. : Il faut avoir un caractère trempé et des nerfs bien solides pour oser parler de certains sujets «tabous», notamment le viol dont vous aviez été victime. Ce livre serait-il une thérapie déguisée ?

H. E. A. : Lorsqu’on écrit, on se confie d’abord à son calepin sans se voiler la face et sans tabou. Comment un cahier pourrait me juger ? Je le plains. Bien sûr, la finalité est que mes écrits soient lus, sensibilisent et touchent plus de monde. Il est vrai qu’il faut avoir un caractère solide et de la force pour parler d’un viol collectif et de séquestration. C’est une expérience traumatisante et bouleversante. Une partie de moi est restée dans ce parc à Rabat. Ecrire à propos de ce cauchemar a réveillé les démons qui sommeillaient en moi, mais en achevant l’ouvrage, je me suis sentie soulagée. En un mot, c’est un livre thérapie.

 

F.N.H. : Vous avez choisi d’être artiste, humoriste en l’occurrence. Pourquoi ce choix de faire rire malgré tout ce que vous avez traversé ? Pour vous, la scène est-elle un échappatoire ou plutôt un plaisir de faire rire au fur et à mesure que l’adrénaline monte.

H. E. A. : Quand je partais à l’école, je m’ennuyais beaucoup, mais pas parce que j’étais trop intelligente ! C’était plus pour faire marrer mes camarades de classe, car j’étais loin de ma famille et chez moi ce n’était pas très gai. Faire rire les autres, coûte que coûte, était une

 

échappatoire. Enfin, on s’intéressait à moi. J’étais le clown de la classe. Faire rire va me donner une posture et une aura auprès de mes camarades. Je répondais du tac au tac aux profs, j’étais un peu la rebelle de l’école. Avec mes frères et sœurs, nous préparions un spectacle pendant un an pour le jouer devant la famille au Maroc. C’était notre modeste cadeau pour elle qui nous recevait. A croire que le spectacle a toujours été notre dada. D’ailleurs, mon frère Mustapha a su le prouver et je suis très fière de lui et de ma mère qui monte sur scène également. Je fais du stand-up depuis 10 ans; c’est comme ça que j’ai développé cet attrait pour l’humour malgré les étapes difficiles qui ont marqué ma vie. Devenir humoriste était une évidence. Le rire est le meilleur médicament au monde que l’on puisse prescrire. Aujourd’hui, la scène n’est pas un exutoire, car j’assume mon présent. Quand je monte sur scène, je suis en transe, j’accède à une autre dimension avec mon public et je me régale. La standing ovation est le meilleur cadeau que l’on puisse me faire ! Devant le public, c’est la vraie Hakima qui joue sans fard. Le trac n’est jamais loin, il est essentiel pour faire monter l’adrénaline. Avant de monter sur scène, j’ai mon rituel qui est purement spirituel.

 

F.N.H. : Avec votre double culture, française et marocaine, vous restez très attachée à vos racines. Êtes-vous d’accord que pour être apaisé il faut toujours revenir aux sources ?

H. E. A. : Je suis tout à fait d’accord. C’est une question d’identité. J’ai une double culture, c’est une richesse et ça m’inspire énormément. Grâce à cette belle combinaison, je peux écrire de bonnes anecdotes en parlant de mon pays d’origine et bien sûr de la France, sans tomber dans l’excès. Faire de l’humour avec humour. On peut rire de tout mais avec mesure, il ne s’agit pas d’offenser mais de «rire avec», c’est très important pour moi. Ceci dit, j’injecte dans mes sketchs une bonne dose d’autodérision franco-marocaine. Ce n’est pas pour être apaisé que je reviens aux sources, car c’est ma culture, j’en ai besoin, je suis Marocaine et Française également, et cette double culture m’est indispensable. J’ai vécu 6 ans chez ma famille maternelle au Maroc, et malgré la douleur et l’extrême pauvreté, j’ai remarqué qu’il y avait aussi des valeurs dans la pauvreté, notamment la dignité et le partage. Comme ma grand-mère (paix à son âme) qui nous racontait des histoires la nuit, pendant que la bougie se consumait. Ce sont vraiment des moments magiques; on peut être pauvre et en rire, c’est une belle victoire.

 

F.N.H. : Vous vous êtes produite sur les scènes de plusieurs théâtres célèbres en France, même au Maroc d’ailleurs. Quel effet cela vous fait-il de réussir dans un milieu où la concurrence est âprement disputée ?

H. E. A. : Je me suis produite sur plusieurs scènes de théâtres célèbres en France et même au Maroc. C’est dans la concurrence que l’on progresse, j’aime les défis. Sans un contexte compétitif, on ne peut pas se surpasser. Sans concurrence, on ne peut pas réaliser qu’on était capable de faire mieux. Lorsque je réussis mes scènes dans cet environnement concurrentiel, sans pitié et parfois anxiogène, cela me donne une grande satisfaction personnelle.

 

F.N.H. : Vous écrivez vous-mêmes vos sketchs et actuellement vous préparez un court-métrage. D'où puisez- vous l’inspiration et la force pour créer encore et toujours ?

H. E. A. : L’inspiration, elle est partout, il suffit de lever les yeux et d’écouter autour de soi. Et croyez-moi, il n’y a pas assez d’encre pour écrire tout ce qui se passe autour de nous. Quelques fois, j’écris de petites notes quand j’ai une idée ou quand je pense à une vanne ou phrase que j’estime drôle. Autant de notes que je ressors pour m’inspirer quand je décide d’écrire. Il serait prétentieux de ma part de dire que je ne suis jamais en panne d’idées. Je suis comme de nombreux humoristes et écrivains : quand ce n’est pas le bon moment, je reporte. Quand c’est le bon moment, je fais un effort, surtout quand les idées fusent. Je soumets quelques fois mes écrits à ma sœur Latifa, mon frère Sadek et mon fiancé Cédric qui sont souvent source d’inspiration complémentaire et, surtout, ils sont très critiques vis-à-vis de mon travail.

La famille El Atrassi est redoutable à cet égard et elle déteste la médiocrité. D’ailleurs, je me souviens quand Mustapha et moi écrivions des sketches, chacun de son côté, toute la famille s’asseyait sur le canapé, et on jouait chacun nos sketchs au fur et à mesure. Et quelques fois, il y avait des fous rires, surtout quand c’était un bide. Maman, Sadek et mes sœurs se moquaient de nous, car ils trouvaient ça hors contexte. Il faut savoir que le jury le plus sévère était la famille. Après un tel jury, nous étions armés pour passer chez tout le monde.

 

F.N.H. : Aussi paradoxal que cela puisse paraître, réussir rime parfois avec douleur, difficulté… Avec la sortie de «Odyssée nocturne», vous diriez aujourd’hui que vous êtes réconciliée avec vous-mêmes et votre passé ?

H. E. A. : Douleur ? Non, parce que tout ce que l’on dit sur scène, c’est le public qui le reçoit et je ne veux en aucun cas qu'il réceptionne de moi une souffrance. Difficulté et effort oui, car sans effort, qui est le garant de la réussite, il n’y a aucune satisfaction et aucun progrès. Je suis complètement réconciliée avec moi-même, et je tiens à remercier tous ceux qui ont croisé ma route en bien ou en mal. Ils ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui, une femme épanouie et solide. «Odyssée nocturne» est un message pour le monde entier, pour que les gens qui sont dans le gouffre trouvent une étincelle pour les guider vers la lumière.

C’est une marche longue et sinueuse, mais au bout du tunnel il y a une ouverture  : les limbes de l’espoir. Il faut juste y croire. D’ailleurs, mon prochain projet est de faire une adaptation cinématographique de mon livre et je suis en quête de réalisateurs marocains et français pour collaborer ensemble. Je rêve aussi de jouer dans un sitcom ou long métrage marocain pour s’attaquer à un registre bien différent du mien. 

 

 

 

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