Dans une rétrospective vaste et chatoyante, le musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain met en relief les diverses phases créatives de l’artiste-peintre Fouad Bellamine, soit un demi-siècle de création artistique.
Un travail au long cours entre impulsivité et minimalisme, tensions et engagements.
Texte de R. K. Houdaïfa
Photo © Hakim Benchekroun
Derrière sa fenêtre, le poète, visionnaire, s’immerge dans des foules de vivants et de morts, traverse d’immenses cités, pénètre dans toutes les dimensions de l’univers. Victor Hugo a 28 ans quand il l’écrit en 1830, pour le recueil Feuilles d’automne : «Ainsi j’embrassais tout : et la terre, et Cybèle ; […] Le passé, le présent; les vivants et les morts ;/ Le genre humain complet comme au jour du remords».
De fait, l’artiste-peintre peut-il se livrer simplement à cette activité qui n’a rien de simple : bien regarder. Question majeure, que Fouad Bellamine affronte en vain depuis qu’il a découvert les arts plastiques.
On dirait que, dès lors, le jeune homme, né à Fès le 28 novembre 1950, s’évertua à chercher une piste, tout en jetant, confusément, les marques d’un style. Bien que gestuelle, sa démarche est une quête essentielle de la lumière comme substance de l’être.
Au terme de ses études secondaires, il quitta sa ville natale – pour l’école des Arts appliqués – et s’établit à Casablanca en 1967, puis à Rabat où il enseigna les arts plastiques en 1973. Son savoir-faire est reconnu alors qu’il n’a pas plus de 21 ans.
Il avait exposé pour la première fois, en 1972, à la galerie La Découverte de Rabat, puis, en 1974, à la galerie Bab Rouah.
Cependant, à la fin des douloureuses seventies, il s’appliquait déjà à gérer le «faire-espace» en tant que concept en créant des installations moyennant le bois, le ciment, entre autres matériaux.
En 1980, l’artiste monte sa première exposition personnelle à la galerie Medamothi à Montpellier, où Bernard Toulon Nouailles salue dans son installation «l’éloge de l’horizontale».
Ne serait-ce qu’un succès modeste ? Invité, en 1982, à se joindre à la 12ème Biennale de Paris, Fouad Bellamine offrit à voir une pièce monumentale au Musée d’Art Moderne. L’effet en est heureux : accueil enthousiaste et succès critiques entourèrent ladite œuvre.
Et subséquemment, malgré les aléas des périples stylistiques, un choix plastique vient infléchir le cours de sa destinée : il revint à la peinture avec un travail de recouvrement épais de couches superposées. Peu à peu, ce travail se dépouillera pour laisser jaillir la lumière intérieure du tableau.
En boulimique de l’art, Fouad Bellamine quitte le Maroc en 1984 et s’installe à Paris. Il ne s’arrêta pas en si bon chemin. Un an après, il décrocha remarquablement un DEA en Arts plastiques à l’université de Paris VIII (où il fut également chargé de cours en 1978) et prépara une thèse de 3ème cycle sur «le concept de muralité dans la peinture contemporaine».
De retour au Maroc en 1989, il enseigna «l’histoire de la théorie de l’art» au CPR de Rabat… Ses pérégrinations formèrent indubitablement des étapes édifiantes, mais à elles seules on n’expliquera pas, forcément, son art.
Ses «Tables des Dieux», caractéristiques de la création d’espaces scéniques, et par lesquelles il inaugura la décennie 90 le permettent-elles ?
En partie. Optant pour le dépouillement, Fouad Bellamine a imposé une œuvre abstraite qui associe espace et lumière, matière et mémoire.
Son œuvre peut être indéchiffrable, au premier abord. Lorsqu’on y regarde, il nous paraît évident que l’enfance du peintre a imprimé dans sa hotte de souvenirs des quantités d’images que son art sans cesse met à nu plutôt qu’il ne cautérise.
De la médina de Fès, il garde un rapport particulier à la lumière et à l’architecture. Ces images-émotions, Bellamine les agence sur sa toile dans une frénésie de touches, d’éclaboussures, de couleurs et de graphismes joliment ordonnés, et en fait un délice pour l’œil.
Ceci dit, l’artiste ne reproduit, à vrai-dire, ni les ruelles étroites de Fès, ni ses murs rugueux. Il ne suggère pas, non plus, les effluves apaisants de ses marabouts, et bien qu’il réinvente l’espace par des modulations – qui vont de la grotte au cercueil -, seule une imagination hallucinée pourrait y lire une invitation au voyage.
«Ce qui est mis en relief n’est pas la couleur en elle-même, mais la lumière de la couleur, sa capacité de se dissoudre et de se reconstituer à travers cette double condition : se voiler et se dévoiler, exister dans les ouvertures mêmes de la déperdition», observait Farid Zahi.
De ce qu’il sait faire depuis ses débuts à ce qu’il ose cinquante ans plus tard, le dépouillement est fou, ce qui suppose une volonté, une ambition et une force exceptionnelles. Fouad Bellamine continue à exalter le geste dans sa peinture, dans une «monumentalité gestuelle» structurante et architecturale.
Au musée Mohammed VI et à Kult Gallery – ou même à Abla Ababou Galerie-, on va d’une œuvre à une autre comme d’une stupeur à une autre. Les couleurs crient ou grincent. Haine et passion, sacrilège et adoration sont inséparables, naturellement.
* «Colors of silence», du 13 novembre au 25 décembre, à Kult Gallery, Rabat.
* «Entrée en matière», du 20 novembre au 20 avril 2021, au Musée Mohammed VI, Rabat.
* Carte Blanche à Fouad Bellamine : «Une nouvelle génération». Jusqu’au 12 janvier 2021, à Abla Ababou Galerie, Rabat