◆ Délirantes, majestueuses, oniriques, prophétiques… Les lecteurs de Finances News Hebdo ne sont pas les seuls à s’attarder sur les illustrations très fouillées de Ghizlane Agzenaï. Le spectateur est frappé par ses œuvres aux trait acid ainsi qu’aux couleurs chaudes et vives, qui donnent toujours un arrière-plan psychédélique, hallucinant !
Par R. K. Houdaïfa
Il est hors de question de lire certains catalogues sans un crayon en main. C’est qu’il faut souligner ici une phrase, quitte à ce que le coup de crayon l’isole dans la page et la métamorphose en aphorisme. C’est qu’il faut là cocher un paragraphe qui livre une conclusion pertinente. C’est qu’il faut ailleurs… je passe. Il est hors de question de se priver de crayon pour lire le catalogue de «Emerge Reloaded».
Mais, avoir un crayon en main, c’est en l’occurrence prendre le risque de souligner sans cesse. Dans une intro dense comme un pudding, Syham Weigant décrit Ghizlane Agzenaï «comme artiste urbaine et contemporaine, son univers de forme emprunte clairement aux cultures alternatives et technophiles berlinoises, avant-gardistes sans doute, mais aussi accessibles par la compréhension immédiate que chacun a des formes géométriques et des couleurs. Son usage également de supports aussi diversifiés que les murs, les rues de la ville ou l’univers parfois feutré des galeries la place là encore en plein paradoxe culturel : le ‘mainstream’ et le ‘select’, le disponible à tous et pour tous, tout en manipulant les codes pointus des connaisseurs et des esthètes.»
C’est avoir bien compris l’injonction de Rimbaud : «il faut être absolument moderne» ? Tout est dans l’«absolument», c’est-àdire l’exigence : exigence d’invention, de finesse, d’acuité… Grande et mince, le visage buriné, le sourire candide et éblouissant, les cheveux longs et beaux, jeune et so fresh…, si on lui demande quel est son métier, elle répondra indubitablement que ce n’est pas un métier, mais un rêve devenu profession, avec le regard espiègle d’une petite fille qui vient de vous jouer un tour.
Pour ce deuxième soloshow, Ghizlane Agzenaï pousse encore plus loin l’abstraction en jouant et déjouant nos perceptions rétiniennes. D’autant que l’énigme n’est pas le mystère. Voilé, on ne sait pas ce que cache le mystère; l’énigme, elle, est codée, on n’en connait pas le chiffre, mais on sent qu’il est là… Explorant le modernisme graphique, Agzenaï fait danser des modules géométriques variées en taille et en échelle, minimales et futuristes, hypnotiques et ensorcelantes à faire dormir debout et à rêver les yeux ouverts. Elle dessine des formes tantôt simples, tantôt superbes de vanités. Elle part des couleurs pop pour une composition qui rappelle les affiches Raves 90's.
Les structures s’étirent, bondissent, se trémoussent dans un joyeux ballet et s’immiscent l’une dans l’autre. Cette nouvelle série nous invite au voyage/rêve dans ce qu’il a d’éphémère, d’absolu, d’infini. A condition de se mettre en éveil d’émotion, en «états d’yeux», selon la belle formule d’Edgar Degas, chacun recomposera et réinterprétera à sa manière et selon son humeur les œuvres qu’il a devant lui.
Les pièces accrochées aux cimaises se jouent de cette recherche d’équilibre entre l’imaginaire et la réalité; entre le sensuel et l’intellectuel. Ghizlane Agzenaï nous entraine vers la lumière telle qu’on peut la voir et non telle qu’on croit la voir; nous invite à la suivre sur un chemin jalonné de mille et une sensations, soit dans l’étrangeté d’une «Supernova» dont chacun invente la clé. Enigmatiques, certes, ses totems sont d’une grande force de méditation. Ils méritent qu’on s’y arrête, qu’on y réfléchisse. On repart la tête pleine de rêves de beauté. C’est si rare !
*«Emerge Reloaded», du 19 novembre au 19 décembre, à l’Hôtel Hyatt Regency, Casablanca.