Le film «Annatto», tricoté de la main de Fatima Boubakdy d’après son propre scénario, fait d’ores et déjà recette après avoir fait moisson de lauriers dans divers festivals.
Légende photo : Chaima Ait Belaasri dans le rôle de Jawaher. Une des singulières découvertes du meilleur tonneau qui faisait augurer d'un cru exceptionnel.
Par R. K. Houdaïfa
Il fut une ère durant laquelle les marchés des commerçants marocains étaient très répandus dans les grandes villes sénégalaises. Certains commerçants migrants étaient accompagnés de leurs épouses, d’autres ont contracté un «mariage de plaisir» à durée déterminée pour ne pas être tentés de fréquenter les maisons closes. C’est ainsi qu’Adnane (interprété par Abdellah Bensaid), un jeune commerçant, épouse temporairement Annatto (portée haut par l’inoxydable Nissia Benghazi), une métisse franco-sénégalaise, pendant son séjour au Sénégal. Sitôt, il se découvre en être vraiment amoureux et lui propose de rentrer avec lui au Maroc. Venue pour éduquer la petite Rita, Annatto se verra refusée et maltraitée par la famille d’Adnane. En plus d’être ballottée entre deux cultures, elle fera face à toutes sortes de défis et de violences inévitables : jalousie de Jawaher, racisme quotidien des servantes, incompréhension, intolérance, rejet, abandon, peur… Sa vie se transforme en souffrances périlleuses et interminables. Et pour vous spoiler: Annatto donnera naissance à des jumeaux; l'un blanc (un garçon) et l'autre noir (une fille).
«L’histoire transgresse la question du mariage de plaisir, de la polygamie et des rivalités entre deux femmes pour un homme (…) ‘Annatto’ est une histoire d'amour, d'identité, d’introspection et de réconciliation humaine», commente Fatima Boubakdy.
Le film attise notre curiosité
Voilà, en substance, la trame narrative de ce projet cinématographique surgi de l’imagination florissante de Fatima Boubakdy. L’auteure de tant de projets sur le patrimoine immatériel, notamment les contes populaires, n’a pas perdu son goût pour l’extravagant, sa poésie et sa folie jubilatoire. Nous avons été déconcertés, bousculés… mais délicatement. Avouons-le. On y trouve un univers graphique proprement happant. La qualité époustouflante des images et la magie de la lumière subjuguent. La caméra ne flâne pas, elle participe. Les costumes, quant à eux, sont magnifiques. Les maquillages tiennent de la magie. Et la gestuelle des acteurs est captivante au sens plein du terme. Une certaine élégance. Fatima a accompli à moitié sa mission. Les comédiens ont brillé de mille feux : Kenza Fridou, incarnant la féroce Kheira, se montre délicieusement survoltée; Chaimae Ait Belaasri, dans la peau de Jawaher – une guenon enamourée -, est d’une sensualité électrisante; Rita Farjia arbore magiquement la petite Rita… Et les nostalgiques retrouveront avec plaisir Souad Khouyi et Salah Eddine Benmoussa, qui campent ici les parents de Jawaher. L’ensemble est concentré, juste; quoique accusé de lenteur parfois, il est sans mièvres.
Avant de fixer ses pénates au Maroc, le film s’était offert une virée à travers quelques festivals, comme pour nous mettre en haleine. Partout où il s’est exhibé, il força l’admiration. En témoigne sa moisson de lauriers : grand prix Ecran D’or de la 25ème édition du festival Ecrans Noirs à Yaoundé, au Cameroun; Prix de la meilleure photographie et Prix de la meilleure conception de costumes. En outre, il a également été projeté en avant-première au cours de la 37ème édition du Festival méditerranéen d’Alexandrie.
Auréolé de tant de marques d’estime, «Annatto» pouvait, en toute confiance, se donner à voir au public marocain. Il fera indubitablement florès.
La critique, elle, habituellement prévenue défavorablement à l’égard des films marocains, rengaina son vitriol pour tremper sa plume dans le miel. Elle porta le film aux nues, à grand renfort d’épithètes laudateurs et de superlatifs emphatiques. Certains, même, sans doute emportés par leur enthousiasme, crièrent au génie. Ce qui nous paraît outrancier.
«Annatto» est un bon film, vibrant, qui palpite d’une vive émotion. Ce qui n’est pas mal.