A l’occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort, organisée le 10 octobre de chaque année, une exposition a été inaugurée le 9 octobre au MACMA, à Marrakech, et a été accompagnée d'une série de tables-rondes et la publication d'un livre.
Entretien avec Younès Ajarraï, directeur artistique de Marrakech 2020, puis de Rabat capitale africaine de la culture.
Propos recueillis par R. K. Houdaïfa
Finances News Hebdo : Pensez-vous que la culture peut être un vecteur de développement ?
Younès Ajarraï : La culture est non seulement une activité de création, elle est également une industrie. La culture est indubitablement un secteur économique qui peut apporter énormément dans le projet de développement d’une nation. C’est d’abord des centaines, voire des milliers de gens qui créent et qui sont ensuite accompagnés, que ce soit au niveau de la production des arts plastiques, celle des livres ou encore au niveau de ce qu’on appelle aujourd’hui les industries créatives et culturelles. Rappelons qu’en France, par exemple, le secteur de la culture embauche plus de monde que le secteur de l’automobile, et participe au PIB pour une part non négligeable. Si nous avions, au Maroc, une réelle volonté politique, c’est-à-dire une incontestable politique culturelle - au niveau central, régional, au niveau des villes -, je pense que c’est un secteur qui pourrait véritablement porter le pays, son économie, et son projet de développement à un très haut niveau, y compris par rapport au tourisme, précisément celui qu’on appelle le tourisme culturel. Et donc, oui, c’est une certitude, la culture est un élément très important dans le processus de développement.
F.N.H. : En quoi faisant ?
Y. A. : La première chose, c’est d’en prendre conscience, puis d’élaborer une véritable vision politique du secteur culturel : le structurer, former des profils... Mais, le plus important à mon sens, c’est le travail qui doit être fait en amont, c’est à-dire celui qui doit être fait à l’école. Malheureusement, dans notre pays, l'enseignement artistique est, aujourd’hui, le parent pauvre de l’enseignement en général. Les pays qui ont dynamisé le secteur culturel sont des pays qui se sont intéressés très tôt à l’éducation artistique, à l’accompagnement du public, à la médiation culturelle… Il faut donc mettre en place un certain nombre d’instruments et d’outils qui permettront d'éveiller le public ainsi que son intérêt à la chose culturelle.
F.N.H. : L’exposition «Le droit de vivre», qui regroupe les œuvres de treize artistes marocains, a été inaugurée le 9 octobre au Musée d’art et de culture de Marrakech (MACMA). Dites-nous en plus.
Y. A. : Mais on ne se limite pas seulement à l’exposition ! L’initiative que nous avons lancée, c’est aussi 37 contributions d’écrivain(e) s, d’intellectuels (elles) marocain(e)s qui ont fait l’objet d’une publication de presque 300 pages.
F.N.H. : A quel besoin répond-elle ?
Y. A. : Un besoin de sensibilisation à une question qui est très importante, me semble-t-il, et qui est l’abolition de la peine de mort. En effet, avec Mahi Binebine et Driss El Yazami, nous avons fait appel à des artistes pour montrer que les créateurs, à côté bien évidemment de l'ensemble des réseaux et des associations, s'approprient eux aussi notre combat pour l’abolition. Et donc, l’idée était de créer un outil, un instrument qui aiderait à amplifier cette mobilisation. Le livre et toutes les animations qui vont y avoir autour, sont là pour servir tous les réseaux abolitionnistes, tel un autre médium qui va permettre d’élargir ce combat pour l’abolition.
F.N.H. : Quoique certains Etats ont procédé à un nombre accru d’exécutions en 2020, Amnesty International note un net recul des exécutions dans le monde : au moins 483 personnes ont subi la peine capitale, soit une baisse de 26% par rapport à 2019, qui confirme la tendance depuis 2015… La bataille pour abolir la peine de mort estelle en passe d’être gagnée ?
Y. A. : De fait, les choses avancent énormément : on exécute de moins en moins; il y a pratiquement les deux tiers des pays du monde qui ont déjà aboli la peine de mort… Et, si au Maroc nous n’exécutons plus depuis 1993, voire depuis l'exécution du commissaire Tabit, les tribunaux prononcent toujours la peine capitale. Cela fait 28 ans que nous n'exécutons plus. Certes, le Maroc n’a jamais voté en faveur de la résolution relative au moratoire universel sur l'application de la peine de mort, lors des sessions de la 3ème commission de l'ONU. Ceci dit, au niveau de la mobilisation, ce qui est certain, c’est que nous n’avons pas mal avancé, depuis 2014. Nous étions très proches d’une majorité parlementaire pour abolir la peine de mort. Les réseaux abolitionnistes marocains, que ce soit la coalition marocaine pour l’abolition de la peine de mort, les avocats, les journalistes, les enseignants…en parlent et font un travail considérable. Au Maroc, les choses avancent doucement, mais sûrement !
F.N.H. : Quels échos vous sont parvenus de l’accueil fait à l’initiative ?
Y. A. : Sincèrement, cela a dépassé toutes nos attentes. Nous avons été émus par l’accueil qui a été réservé à notre appel à contribution. Nous avons été impressionnés par le nombre de personnes qui ont pris part au séminaire que nous avons organisé. Nous avons reçu plus de 500 personnes au MACMA et nous n’avions même pas suffisamment de livres à vendre, tellement les gens ont été intéressés par ce qui s’est fait.
F.N.H. : Pourriez-vous rappeler, en substance, pour ceux qui ne l’ont pas encore lu, l’argument du livre édité à La Croisée des chemins et présenté le même jour de l’expo au public à la Maison Denise Masson à Marrakech ?
Y. A. : L’ouvrage comporte des noms connus comme Leila Slimani, Mohammed Bennis, Ali Benmakhlouf, Asma Lamrabet, Ayachi, Issam Eddine Tbeur. Les contributions sont d’une qualité plus qu’extraordinaire. Il n’y avait pas de consigne, c'était juste une demande de réaction par rapport audit sujet. On y trouve des nouvelles, des témoignages, des prises de position, de la poésie, des études anthropologiques…, une véritable diversité d’arguments, une pluralité de paroles libres ! Ceci se veut tel un outil, au-delà du plaidoyer traditionnel.