Après s’être fait connaître avec Zimbabwe, Mhuri, Sap, Hazard et Mark - des titres qui ont affolé les compteurs de vues -, le jeune Kénitri de 23 ans, Abdellatif Ennassiri dans le civil, sort bientôt un autre son plein de charme.
Jeudi dernier, nous l’avons croisé chez «le diplômé en rap et autres activités planantes» Soufiane Fahssi - ici, on y croise des artistes de tout bord. Tranquille et si concentré qu’Abduh consacra plusieurs heures à notre entretien au lieu de la demi-heure prévue. A la cool ! II est parfois difficile à suivre, peut partir dans de sacrés méandres, en devenir nébuleux. Mais Abduh finit toujours par revenir dans la conversation. Questionné sur «le rap», il rétorque par «Le rap m'a construit, j'ai été éduqué par le rap».
Venons-en, donc. Le mec écrit ce qu'il vit et vit ce qu'il écrit. Ainsi, une chose est sûre, dans Salina (titre dans lequel El Grande Toto a convié un panel de rappeurs de marque), Abduh a bien décrit la face sombre et lumineuse de sa ville natale.
Il représente l’une des franges dures du rap made in Morocco n’occultant pas le chômage, les exclusions et la discrimination sociale. Son rap ne campe pas seulement sur un positionnement antisystème, mais surtout sur «le refus d'être un mouton».
A l’heure où beaucoup n'assurent plus d'être des haut-parleurs mais juste de dire «je suis comme vous», lui, il s’évertue à être l'écho d'une certaine population : l’maqhor (l’opprimé). «Je ne pense pas que les rappeurs soient là simplement pour faire de la musique et distraire les gens», nous dit-il.
«Si les gens ne se voient pas dans les textes comme dans un miroir, c’est que le rappeur n’existe pas pour eux», enchaîne-t-il. Alors, représenter signifie exister.
Abduh sait se tenir éloigné des postures de gangster et de leur mythologie (les grosses caisses, les belles nanas, l'argent...) et décrire en détail l’engrenage dans lequel une personne tentée par le trafic et la drogue risque de tomber, comme livrer des textes super trash et ourlés de rage, plutôt que de militantisme.
Techniquement, si le rap marocain regarde souvent du côté du français, il arrive rarement à embrasser - frôler - celui du sud londonien : le road rap. Cette tâche, Abduh s’y attèle d’une certaine manière dans ses disques; il enthousiasme particulièrement lorsqu’il fait siens les petits détails qui font le sel dudit registre ou de la nouvelle scène drill de Brooklyn.
A l’écoute de ses titres, en quelques minutes à toute vitesse, on y écoute - comme on voit - une belle démonstration de rap arrogant tout en gimmicks ainsi qu’en adlibs (ces ponctuations vocales que les rappeurs rajoutent sur un morceau pour appuyer une phrase) et d’attitude, alternant les flows et les images, entre plaisirs et déplaisirs.
Le décalage entre ses textes intimes chantés comme on parle aujourd’hui «il s’en bat régulièrement les ****» et posés sur ce qui se fait de mieux en matière de drill saupoudré de trap, ou mêlé d’Afro au coin du feu d’Abduh est savoureux.