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Patrimoine : Tinmel, le haut lieu du pouvoir almohade ébranlé par la nature

Patrimoine : Tinmel, le haut lieu du pouvoir almohade ébranlé par la nature

Au cœur de la commune de Talat N’Yaaqoub, à proximité de l'épicentre du séisme dévastateur, gisait la majestueuse mosquée de Tinmel, un emblème de la dynastie des Almohades, jadis en cours d'un ambitieux programme de restauration.

De haut lieu du pouvoir à une icône déchue.

 

Par R. K. Houdaïfa

 

Cette merveille architecturale, nichée au cœur du Haut Atlas, à 75 kilomètres au sud de Marrakech, a une importance historique et artistique inestimable en tant que symbole emblématique du mouvement almohade.

Les Almohades, dynastie berbère qui dominait une grande partie du Maghreb et de l'Espagne musulmane au Moyen Âge, édifièrent cette mosquée au XIIe siècle sous l'égide du calife almohade Yacoub al-Mansour. Cet édifice constituait une partie intégrante de la ville fortifiée de Tinmel, qui servait de bastion politique et spirituel aux Almohades. C'est sous le règne du sultan Almohade Abdelmoumen Ibn Ali que cette mosquée fut, à vrai dire, édifiée, portant en elle la grandeur de cette dynastie.

 

Sanctuaire-forteresse du Haut Atlas

Au XIIe siècle, un réformateur musulman éminent, Mohamed Ben (ou Ibn) Toumert, connu sous le nom d'El Mahdi ou «le Messie», établit son quartier général à Tinmel. Prêchant en tachelhit, le dialecte berbère de cette région montagneuse du sud marocain dont il était originaire, il rallia les montagnards chleuhs à sa cause, s'opposant à la dynastie berbère des Almoravides au pouvoir à Marrakech, venus des contrées mauro-sénégalaises.

Malgré son discours ultra-orthodoxe (il pestait contre les hommes voilés et les femmes à visage dévoilé), Ibn Toumert demeurait une figure atypique. En dépit de son voyage d'études en Orient, il négligea de se rendre à La Mecque, un pèlerinage essentiel pour les musulmans. Il resta célibataire, alors même que le mariage était considéré dans son monde comme «la moitié de la religion». Son voyage à Bougie, où il maudit la licence des mœurs, le conduisit à rencontrer Abdelmoumen, un étudiant berbère d'Oranie en route vers le Levant. Ibn Toumert le persuada de faire demi-tour et de le rejoindre au monastère-caserne de Tinmel. Après la mort du fondateur en 1130, Abdelmoumen s'autoproclama calife. Il renversa les émirs marrakchis, unifia le Maghreb par le sabre au nom du Prophète et du Mahdi, et gelant momentanément la Reconquista en Espagne. Il lança un vaste programme de constructions qui donna naissance à des monuments emblématiques tels que la Giralda de Séville, la Koutoubia de Marrakech, la Tour Hassan de Rabat, et, en premier lieu, la mosquée de Tinmel, dédiée à Ibn Toumert lui-même. De fait, abritant le tombeau de ce dernier, le lieu devint un site de pèlerinage. Voire, une cité sainte et un sanctuaire pour la dynastie régnante des Almohades.

 

Beauté architecturale

Les réalisations architecturales de cet État impérial ne sont pas inconnues des touristes. Les minarets imposants que les Almohades affectionnaient tant, ornent les sanctuaires de leurs capitales successives, comme la célèbre Koutoubia de Marrakech, la Tour Hassan à Rabat, imposante bien que restée inachevée, ou encore la Giralda de Séville, dont le minaret fut converti en clocher par les Chrétiens après leur conquête de la ville en 1248. Tinmel n'était pas en reste, étant un haut lieu du pouvoir almohade.

«Cette mosquée a été construite selon un procédé andalou maghrébin, qui allie le raffinement de la tradition architecturale et les techniques de construction locale», peut-on lire sur le site de l’Unesco.

La mosquée de Tinmel est un chef-d'œuvre de l'architecture almohade, qui se caractérise par sa sobriété et son élégance, ainsi que par l'utilisation de matériaux locaux tels que la pierre et le bois. Elle a été construite en briques sur un site montagneux, ce qui lui donne une apparence imposante et majestueuse. Qui plus est, elle était constituée de plusieurs éléments architecturaux distincts, dont une salle de prière principale dotée d'un toit à quatre pans soutenu par d'énormes piliers.

 

Un patrimoine réduit en ruines

Classée au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1995, cette mosquée était considérée comme une icône de l'architecture et de l'histoire de l'islam occidental. Malheureusement, au fil des siècles, elle avait subi des dégradations en raison du manque d'entretien et de restauration. Toutefois, ces dernières années, le gouvernement marocain avait lancé un projet de restauration ambitieux visant à préserver ce monument historique. Ce travail incluait la réparation des murs endommagés, la rénovation des structures en bois et le nettoyage des décorations.

En janvier dernier, deux ministres marocains, Mohamed Mehdi Bensaid, ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, et Ahmed Toufiq, ministre des Habous et des Affaires islamiques, avaient inspecté les travaux sur place pour s'assurer de leur avancement. Ils avaient également annoncé la construction d'un musée destiné à stimuler le tourisme dans la région.

Cependant, il y a quelques jours à peine, la mosquée de Tinmel, jadis un site touristique majeur qui attirait des visiteurs du monde entier, s'est effondrée lors du séisme dévastateur de la nuit du 8 septembre 2023. Il ne reste qu'un amoncellement de ruines. Ce triste événement représente une tragédie pour le patrimoine culturel et historique du Maroc, soulignant l'importance cruciale de la préservation et de la restauration de ces trésors architecturaux.

«C’est une catastrophe humanitaire. Nous parlons de préservation du patrimoine avec humilité et nous attendons notre tour», souligne Krista Pikkat, directrice de l’entité Culture et Situations d’urgence au sein de l’Unesco, dont le bureau permanent à Rabat est en contact étroit avec les autorités marocaines.

Pour sa part, la Directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay, avait affirmé sur X (ex-Twitter) au lendemain de la tragédie que l’«Organisation soutiendra les autorités marocaines pour inventorier les dégâts dans les domaines du patrimoine et de l’éducation, mettre les bâtiments en sécurité et préparer la reconstruction».

Nous espérons que ce monument se relèvera un jour et continuera à briller au sein de ces montagnes, rappelant la grandeur des peuples qui l'ont érigé, même après la tragédie qui l’a touché de plein fouet.

 

 

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