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Mille et un mots: lettre à un (jeune) acteur.rice

Mille et un mots: lettre à un (jeune) acteur.rice

Voilà plusieurs années que le «coach» d'acteurs (le signataire de cette lettre ouverte aux acteur.trice.s), Abdelatif Youssoufi, balade sa dégaine à la Dostoïevski sur les plateaux de tournage.

Ici, il nous parle de son métier, la direction d’acteur.trice.s, l'expression scénique… et d’art dramatique, surtout.

Légende photo : Discussion entre Abdelatif Youssoufi et l'actrice Salwa Zarhane.

Le temps me contrarie parfois, et je laisse glisser entre mes doigts des moments que j’aurais dû vivre convenablement. Comme l’arrivée de ton message. Une joie que j’ai ratée de savourer au justemoment… je m’en veux amplement… un «merci» cru, un émoji froid, un like bleulivide, un cœur inerte, ne me suffiront absolument pas pour exprimer ma considération.

 

Présente dans ma tête ! bien que je n’aie pas répondu à chaud. En face de ma feuille, je n’ai plus la petite Imane qui me fait le pas et avec son aiguë juvénile «chiouhida maa Alaa» ? J’ai mon temps pour considérer humblement ton message.

 

«Moi acteur, moi clown, moi illusion, je me prépare.Que le tsar règne, que le comité central dirige, moi Constantin Stanislavski, je me prépare.»

 

Une grande partie de mes attributions s’inscrit dans ce contexte de la préparation. En amont au jeu dramatique devant Alaa, je dois m’assurer de la lecture du texte. C’est contribuer aussi à créer l’environnement permettant aux acteurs de se mettre dans le bain à travers le texte des scènes à jouer et vérifier, optimiser avec eux ce travail du texte : lexique, syntaxe, ordre des répliques et ressorts dramatiques… Mettre les acteurs en condition de s’écouter; surtout que les auditifs ont besoin de se faire des repères sonores verbaux ou tout simplement des onomatopées. Ses répétitions leur permettent de faire appel aux potentiels cérébraux et émotionnels afin d’être disponibles aussitôt lorsque Alaa dit : Action !

 

J’avais besoin de tous les langages, articulés et non articulés. J’ai opté, face aux interactions, pour le silence et l’écoute active. A dire du non-verbal plus que du verbal : la proxémique, le kinésique, le supra segmental, les «Palo-Alto» et Edward the Hall, étaient à la page. Pour lire ou répéter une réplique, c’est la neutralité totale sur un ton monocorde. Je crains la contagion des émotions. Dans l’art, je ne suis pas pour la pédagogie de l’inoculation. Les acteurs ont besoin de se motiver de manière à se persuader, afin d’atteindre la fluidité adéquate. Et surtout à se concentrer, se réapproprier la voix, retrouver de l’énergie, avoir l’intention d’agir… Je crois bien à la logique de l’acteur (acting) et non à la logique de l’obéissance aveugle à l’autorité de l’auteur et celle du réalisateur. Telle logique ne mène qu’au jeu d’automate. Tu peux te rendre compte. Je n’ai pas parlé «comédien». Je parle acteur.

 

L'expression scénique

Motricité, ton, tempérament, intonation, tempo, rythme, musicalité de mot, Alaa dirige à chaud : sur le tas. Il est un dramaturge aussi. C’est vrai, c’est un «mejdoube» du cadre, surtout lorsqu’il prend les choses en main : «donnez-moi ma cam ! 'kamérti'». Mais il ne s’agit pas d’un technocrate uniquement. Sa dimension artistique est bien apparente. Lorsqu’il annonce : action ! Là une autre sous-tâche à entamer que je traiterai dans un autre papier. Oui : souffler ? Ça devient, par moment, souffrir tout en étant étanche !!!

 

Après ce background, qu’en est-il de Salwa Zarhane ? c’est toujours fluide. Elle a bien cerné le profil de son personnage, Salima dans tous ses aspects : domaine cognitif, affectif psychomoteur et socioculturel. Elle tisse sa propre trame de fond, sa partition émotionnelle, sans céder à la contagion des émotions. Salwa a interprété aisément tout une palette d’émotion. L’amour, la douleur et séquelles sans limite à cause de la mort de son père, jalousie, haine dégout, colère, crise de panique et peur hystérique (scène de feu), tristesse profonde, remord, joie… : une vraie tbourida d’émotion.

 

Je me suis intéressé à ton jeu depuis temps… A «Mektoub 1&2», c’était une occasion de te voir de plus près : capacités très importantes d’écoute, d’observation, mnémotechnique considérable et aptitude à improviser un jeu, une réaction au moment opportun.

 

Salwa Zarhane, pour son jeu ne se plaint jamais. Elle est toujours dans son assiette. Et c’était rare qu’elle se déconcentre pendant une prise. Elle persévère pour gérer le contrechoc entre (Salima et Salwa) le personnage et la personne. Un conflit compliqué qui n’est explicite que pour les spécialistes de la dramaturgie de l’acteur. Je cherchais à comprendre comment tu tisses la trame de fond propre à chaque séquence.  D’ailleurs, j’observais et je méditais sur la méthode de construction du personnage de tout un chacun : le cérébral, l’affectif, celui qui ne se connaît même pas. Je fouille dans les mnémotechniques. Je crois avoir connu l’auditif, le visuel, le kinésique. Celui qui est conscient de sa technique et celui qui ne se pose même pas la question… J’essayais par moment de concentration très forte de focaliser toute mon énergie, comme pour pénétrer ton cerveau afin de parer au risque d ‘un éventuel contre-choc/personne-personnage. Toutefois, il est convenu de ne pas intervenir pour le jeu, Alaa s’en charge et il est indésirable d’ajouter aux directives du directeur de nouveaux paramètres. Si c’est nécessaire, je cherche à avoir son aval.

 

En ce qui te concerne, parfois, ça m’arrive de m’oublier dans la subjectivité et mon sens de parenté me submerge, et je rêvais te voir la cadette du benjamin Wail faisant le pas à ton ainé Wassel. Tu aurais partagé avec les deux des moments de méditation et des cures de silence inoubliables.

 

A la belle étoile allongée sur un sable qui a gardé quelque peu de sa tiédeur douce emmagasinée le long d’une journée ensoleillée; cherchant parmi les constellations qui offrent une orgie à l’œil nu la casserole (la grande ourse). La naissance ou la mort d’une vague, écouter le bruit du silence, cultiver un feu, bien observer la danse des flammes au rythme des crépitements, passer la nuit dans l’une des grottes de tabelkoukt, attendre luire l’aube d’un jour nouveau, le temps d’une tempête : pluie torrentielle, vent violent et désorienté, vagues déchainées… Des moments qui ont ressourcé leur dimension artistique. 

 

 

 

 

 

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