Dans l’univers des fintechs et des nouvelles technologies liées à la finance, on constate que, très fréquemment, les termes «Bitcoin» et «Blockchain» peuvent être étroitement liés, au point d’être parfois confondus.
Or, la Blockchain est un concept, une idée. Le Bitcoin est la première grosse implémentation de cette idée. Il peut y avoir d’autres implémentations différentes qui n’ont aucun rapport avec le Bitcoin, comme les contrats intelligents, les règlements interbancaires, etc.
Ainsi, pour Mikael Naciri, Directeur général du Centre monétique interbancaire, «le problème aujourd’hui tient au fait que pour la plupart des gens, le concept de la Blockchain est intrinsèquement lié au Bitcoin. Or, on n'a pas besoin de monnaie virtuelle pour utiliser la Blockchain. Le risque aujourd’hui est que les gens se détourne de cette technologie à cause de la cryptodevise».
La première application de la Blockchain, et la plus développée aujourd'hui, est bien sûr le Bitcoin. Il n’est pas étonnant donc que les acteurs bancaires réfléchissent à des applications de la Blockchain dans le domaine du paiement et du transfert d'argent.
«Pour le CMI, la Blockchain est une technologie à regarder avec beaucoup d’intérêt. Et nous pensons que tous les opérateurs au Maroc, notamment la Banque centrale, les assurances et Maroclear ont tout intérêt à regarder ce que l’on peut faire avec cette technologie», nous explique le patron du CMI.
Et d’ajouter : «l’un des grands avantages de la Blockchain réside dans le fait qu’il n’existe aucune barrière à l’entrée : n’importe qui peut créer un service qui fonctionne sur la Blockchain».
Une aubaine pour les banques marocaines ?
L’enjeu de cette technologie est donc de taille, surtout pour le secteur bancaire. Elle a le potentiel de réinventer les systèmes traditionnels de paiements interbancaires, en offrant des solutions pour remplacer les mécanismes actuels de transactions financières, qui nécessitent l’intervention de plusieurs intermédiaires. D’ailleurs, plusieurs banquiers de la place y sont favorables.
«Nous pouvons parfaitement développer aujourd’hui un écosystème de Blockchain pour les transactions interbancaires», avait souligné le PDG de CIH Bank, lors d'une conférence autour de cette thématique.
«La banque doit s’assurer de la relation entre le cyberespace de cette technologie et le monde réel. Dans ce sens, la banque n’est pas intermédiaire, mais partie prenante dans cet écosystème (Blockchain : Ndlr)», avait expliqué Ahmed Rahhou.
De leur côté, les plus grandes institutions financières mondiales ne restent pas inactives et tentent de transformer la menace en opportunités. La méthode retenue est globalement toujours la même: s’approprier la technologie pour l’adapter au sein des systèmes actuels.
Les opérateurs financiers tentent de lui trouver des applications dans divers domaines, avec l'espoir d'accélérer, sécuriser et réduire le coût de leurs transactions.
«Les grands opérateurs mondiaux investissent dans la Blockchain, à l’image de SWIFT qui teste les possibilités cette technologie dans le domaine du trade finance. MasterCard et Visa, eux, ont lancé leurs propres réseaux de compensation Blockchain», nous informe Naciri.
«C’est dommage de laisser toujours les grandes puissances technologiques s’accaparer cette part de gâteau», regrette-t-il.
Dernier exemple en date: mardi 19 décembre, huit banques réunies en consortium ont annoncé qu'elles allaient rapidement mettre en œuvre leur projet d'utilisation de la Blockchain dans le domaine du trade finance. Les établissements (Société Générale, Natixis, Deutsche Bank, HSBC, KBC, Rabobank, Unicredit et Banco Santander) vont créer une coentreprise d'ici la fin de l'année, qui gérera et distribuera leur solution.
«Au final, nous ne devons pas laisser passer cette opportunité pour nous positionner sur cette technologie. En tout cas, le CMI est intéressé pour être acteur de cet écosystème. Nous sommes en train de réfléchir à créer une solution Blockchain», conclut notre interlocuteur.
Bank Al-Maghrib s’organise
La Blockchain fascine et inquiète à la fois. Pour Bank Al-Maghirb, il est temps de s’organiser face à ces changements. Le digital, élément de concurrence pour les banques et outil indispensable en matière de gestion du reporting, aura une place de choix dans le prochain plan stratégique 2018-2021 de Bank Al-Maghrib, a affirmé, mardi 19 décembre, son wali, Abdellatif Jouahri.
«Notre but est de nous atteler à ce problème (le digital : Ndlr) en 2018. Nous attaquons le prochain plan stratégique 2018-2021 en intégrant le digital», a indiqué Jouahri lors d'une conférence de presse à l'issue de la dernière réunion trimestrielle du Conseil de Bank Al-Maghrib au titre de 2017.
D’ailleurs, le gouverneur a rappelé que la Banque centrale a déjà mis en place une cellule qui travaille sur ce volet et qu’il a exhorté les banques, réunies au sein du GPBM, à faire de même.
En définitive, le Maroc a toujours tardé dans l’adoption des nouvelles technologies, en arguant des risques de sécurité ou d’immaturité, ratant ainsi des occasions économiques en or pour se développer. On peut dire aujourd’hui que les possibilités qu’offre cette technologie sont déjà infinies. Les bénéfices pour la société sont indéniables. Seule la résistance au changement est maintenant à dépasser.
Bitcoin : L’enfant gênant
Pour ce qui est de la cryptodevise, de plus en plus de personnes et institutions prennent des positions très tranchées sur sa valeur, son utilisation, son intérêt économique ou encore technologique. La position du Maroc vis-à-vis de ce sujet est on ne peut plus claire. Le Bitcoin y est formellement interdit.
D’ailleurs, le CMI s’inscrit dans la même lignée que les régulateurs marocains. «Le Bitcoin est une bulle spéculative. L’on n’imagine pas une monnaie réelle qui prend autant de valeur en si peu de temps. Il y a un risque à un moment donné que cette bulle éclate, et que les gens qui ont leur argent en Bitcoin ne soient protégés par aucune réglementation», nous explique Naciri.
Pour ce qui est de la Banque centrale, son gouverneur a indiqué que «ce n'est pas une monnaie». Et d'ajouter : «Une monnaie doit répondre à trois critères : être un moyen de paiement, constituer une réserve de valeur et être un instrument d'épargne. Le Bitcoin ne répond pas à ces critères».
A noter que le gouverneur de la Banque de France a eu une réaction similaire lundi 18 décembre dans les médias. D’ailleurs, ajoute Jouahri, le gouverneur de la Banque de France a déjà demandé à ce que le G20 encadre l’utilisation des cryptomonnaies. Cette demande a été également adressée au Fonds monétaire international.
«Le Bitcoin est davantage un actif financier qu'une monnaie. C'est un instrument hautement spéculatif. Le problème, c'est la volatilité qui n'est pas justifiée», affirme le gouverneur de Bank Al-Maghrib.
Le wali a indiqué que certains pays sont flexibles, comme les Etats-Unis qui l'acceptent comme plateforme et non comme monnaie. Tout en rappelant que le Bitcoin peut aider à des objectifs condamnables, comme le financement du terrorisme, etc...
Enfin, Jouahri a rappelé que Bank Al-Maghrib n'a pas de base juridique dans ses statuts pour interdire le Bitcoin. En revanche, c'est le cas de l'Office des changes qui l’a interdit via un communiqué il y a quelques semaines. ■
Une monnaie virtuelle pour les transactions transfrontalières ?
Les champs d’exploitation de la Blockchain sont immenses : banques, assurances, industries, supply chain... De façon générale, la Blockchain pourrait remplacer la plupart des «tiers de confiance» (Banque centrale, dépositaire, notaire, etc.). Le patron du CMI nous informe qu'il est favorable à une émission de monnaie virtuelle à cours légal (c’est-à-dire basée sur une devise réelle) et qui servira aux échanges transfrontaliers.
Rappelons dans ce sens que les Émirats Arabes Unis collaborent actuellement avec la Banque centrale d'Arabie Saoudite pour émettre une monnaie numérique qui serait acceptée dans les transactions transfrontalières entre les deux pays. Cette monnaie sera utilisée par les banques et non par les consommateurs individuels, et rendra les transactions plus efficaces. «Il y a possibilité aussi de créer une cryptocurrency qui soit backée par une vraie monnaie à cours légal. Et pourquoi ne pas imaginer dans la zone CEDEAO faire les échanges en monnaie virtuelle régionale à valeur légale. Et en bout de chaîne, on peut la convertir en monnaie de son pays; cela éviterait pas mal de frictions et de coûts de change et permettra aussi un gain de temps», fait savoir le directeur du Centre monétique.
Par Y. Seddik