Pauvreté: La vraie deuxième vague

Pauvreté: La vraie deuxième vague

Hausse des défaillances d’entreprises, chômage, pertes de revenus…, la crise a perverti l’équilibre financier de très nombreux entreprises et ménages.

Près de 10 millions de Marocains risquent de tomber dans la pauvreté.

 

Par D. William

 

La crise sanitaire liée à la pandémie du coronavirus a bouleversé toutes les certitudes économiques. Au-delà de la récession économique sévère qui va toucher pratiquement tous les pays du monde, l’inquiétude, aujourd’hui, est de voir la montée en flèche du chômage et le basculement de dizaines de millions de personnes dans la pauvreté.

Ainsi, selon les données de la Banque mondiale, le nombre de personnes en situation d'extrême pauvreté devrait connaître une hausse exponentielle, pour passer de 40 à 60 millions cette année en raison de l'épidémie de la Covid-19.

Le Maroc est très loin d’être épargné par cette problématique. L’arrêt brutal des outils productifs dû à l’état d’urgence sanitaire, avec pour conséquence le confinement strict, a plombé la machine économique dans un pays déjà sévèrement touché par la sécheresse et où le taux de chômage oscillait entre 9% et 10%.

D’ailleurs, les statistiques du premier trimestre publiées en mai dernier par le haut-commissariat au Plan (HCP) font état d’un taux de chômage qui est passé de 9,1% à 10,5% au niveau national, de 13,3% à 15,1% en milieu urbain et de 3,1% à 3,9% en milieu rural. Des chiffres inquiétants quand on sait que le confinement total, avec tout ce qu’il comporte comme impacts économiques négatifs, n’est intervenu que le 20 mars.

 

Les entreprises aux abois…

Les statistiques du chômage au titre du second trimestre risquent de réserver bien des surprises… désagréables. Le confinement ayant plongé la grande majorité des entreprises au Maroc, particulièrement les PME structurellement fragiles, dans de grosses difficultés financières qui se sont inévitablement répercutées sur leurs salariés. D’où leur recours massif aux mécanismes d’aides déployés par le Comité de veille économique (CVE), dont notamment les reports des échéances fiscales, sociales et bancaires au 30 juin 2020 ou encore l’indemnisation des salariés en arrêt total ou partiel de travail du fait de la pandémie Covid-19.

«Il faut savoir que 72% des entreprises ont eu recours au report d’échéances fiscales, bancaires et sociales», selon Mehdi Tazi, vice-président général de la CGEM.

Par ailleurs, d’après le bilan établi par le CVE en date du 8 mai, près de 134.000 entreprises correspondant à 950.000 salariés ont été déclarés pour le mois d’avril 2020 afin de bénéficier des indemnités. Le CVE a certes évité la faillite de nombreuses entreprises et permis de sauver des centaines de milliers d’emplois, mais ses mesures seront certainement jugées insuffisantes, au regard de la profondeur et de l’ampleur de cette crise économique. Il faudra ainsi s’attendre à une hausse des défaillances d’entreprises.

 

… Les salariés et l’informel aussi

Entre le chômage et les pertes de revenus, cette crise a perverti l’équilibre financier de très nombreux ménages : loyers impayés, factures d’eau et d’électricité qui s’accumulent, traites repoussées… A l’évidence, les efforts financiers colossaux consentis par le CVE ne peuvent résorber tous les problèmes. Un CVE qui a accordé une attention particulière aux ménages opérant dans le secteur informel : au 8 mai, les versements des aides financières ont atteint plus de 85% de l’ensemble de la population éligible, soit 3,7 millions de ménages.

L’enquête du haut-commissariat au Plan rendue publique le 19 mai (www.laquotidienne.ma) est révélatrice des difficultés que traversent les Marocains. Ainsi, 34% des ménages affirment n’avoir aucune source de revenus en raison de l’arrêt de leurs activités pendant le confinement.

Pour 38% des ménages, le revenu couvre juste les dépenses, 22% puisent de leurs épargnes, 14% recourent à l’endettement et 8% comptent sur les aides de l’Etat pour couvrir leurs dépenses quotidiennes.

En cela, près de trois ménages sur quatre (72%) bénéficiaires de l’aide de l’Etat estiment que ces aides ne sont pas suffisantes pour compenser la perte des revenus.

 

Basculement dans la précarité

Vraisemblablement, tous les efforts consentis par le Maroc en matière de développement depuis le début des années 2010 pourraient être ruinés par cette crise. Le rapport dressé à ce titre en mars, soit tout au début de la crise, par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Commission économique pour l'Afrique des Nations unies (UNECA) et la Banque mondiale est glaçant. Selon ce rapport, «dans la première partie des années 2010, le Maroc a connu une réduction significative de la pauvreté.

Les prévisions basées sur le PIB par habitant indiquent cependant que le taux de pauvreté (en utilisant un seuil de pauvreté de 3,2 USD PPA) augmentera d'au moins environ 1 point de pourcentage». En d'autres termes, poursuit le rapport, «environ 300.000 Marocains devraient sombrer dans la pauvreté».

Sauf que la situation économique tendue et délicate actuelle peut faire basculer ceux dont les dépenses de consommation sont juste au-dessus du seuil de pauvreté vers la pauvreté.

«En utilisant un seuil de dépenses de 5,5 $ US PPA, le nombre de pauvres et de non pauvres mais vulnérables à la pauvreté est étonnamment élevé : environ 25% en 2019, pourcentage qui devrait augmenter à 27% en 2020», note le rapport.

«Par conséquent, en raison de la crise économique, près de 10 millions de Marocains risquent de tomber dans la pauvreté», souligne la même source. Le filet de sécurité qui fait rempart contre la pauvreté est donc très ténu. Cela, d’autant plus que l’activité économique tourne au ralenti et que 95% du territoire national sont encore sous confinement, si l’on tient compte du découpage du territoire national en fonction de la situation épidémiologique. C’est peut-être cela qui explique la décision du gouvernement d’accélérer le déconfinement dès le 20 juin.

Le risque d’une crise sociale aigue est donc bien réel. Et audelà des mesures ponctuelles qui seront prises dans le cadre du plan de relance pour désamorcer cette bombe sociale, il s’agira de repenser en profondeur le contrat social du Royaume, dans le cadre notamment du nouveau modèle de développement économique en cours d’élaboration.

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