La mode, un monde qui ne cesse de s’exposer aux griefs. Qu’elle dérive irrépressiblement, beaucoup en conviennent, même ceux qui sont les chevaliers servants. Une des consommatrices renchérit par d’infinis griefs. Chronique judiciaire.
Tout d’abord, pourquoi être jeune, sculpturale, étique et ressembler à une déesse pour être mannequin ? Face à cette question pertinente, les professionnels exposent des arguments imparables. S’ils jettent leur dévolu sur des minettes, c’est parce qu’à cet âge, les filles sont serties d’une beauté lumineuse, chose qui les rend photogéniques. Au bout de quelques années, il convient de s’en débarrasser parce que, manque de pot, le temps aura accompli son œuvre et leur peau, fatalement, s’étiole.
Soit. Mais est-il impératif d’être une grande perche pour postuler au rang de top model ? Absolument, rétorque-t-on. Les créateurs choisissent des géantes parce que grand rime avec élégant.
Passons. Et la minceur ? Vous croyez avoir sorti votre botte secrète, un photographe de mode la pare avec superbe : «D’abord, parce que la photo grossit tout. Et dans les photos de mode, le but est tout de même de présenter des vêtements; or, sauf pour les maillots de bain ou les dessous, moins il y a de corps, plus le vêtement existe».
L’argumentaire est de poids. La questionneuse s’avoue vaincue, mais elle refuse de capituler. Un élément la turlupine.
Aussitôt, la pauvre femme lambda est mitraillée : «Pour donner envie d’un vêtement, il faut le sublimer». C’est quoi ce jargon ? Sublimer un vêtement signifie le présenter sur des créatures de rêves.
La femme lambda se rend. Il n’en demeure pas moins qu’elle a mis le doigt sur une des étrangetés de la mode : valoriser des femmes qui n’ont aucune mesure avec l’acheteuse potentielle.
Les top model, ces filles au-delà de toute qualification (moue ravageuse, jambes tellement interminables qu’elles donnent le vertige, la perfection faite femme, grain coquin, regard félin, un vrai péché de chair…), font rêver Madame-Tout-le-Monde.
Ces filles-là sont certes adulées, mais aussi abhorrées à cause du pognon qu’elles empochent. Et quel pognon ! Juste pour bouger ses appétissants appâts. Ça, Mme-Tout-le-Monde l’avale de travers et bave sur les mannequins stars.
Vénales, cupides, elles sont. Pour le fric, elles sont prêtes à tout, éructe notre témoin. Regardez-les. Attifées d’une perruque en forme de choucroute, lestées d’un cache-sexe en peau de chien, et qu’est-ce qu’elles trouvent à dire ? «Au prix où l’on me paie pour ça, tous les gens défileraient sans problème avec une choucroute sur la tête ou pire encore», rapporte une mannequin.
C’est un monde ! Et Mme-Tout-le-Monde d’agonir d’injures ces créateurs qui trouvent un malin plaisir à enlaidir la femme, à ternir la féminité. Misogynes, ils sont, je vous dis ! Normal, ce sont tous des pédales. Assertion à laquelle le dessinateur Hippolyte Romain répond : «L’image qu’ils ont de la femme est celle d’un travelo. Une fille longue, mince avec de grandes jambes et des lèvres lippues. Bref, une fille refaite par la chirurgie esthétique, façon ‘brésilienne’, avec tous les attributs sadomasos : chaines, piercings, tatouages. On entoure la femme de pare-chocs multiples, de manière à ne plus avoir à la toucher. Si ce n’est pas un signe de misogynie» !
Dernier chef d’accusation, et pas le moins répréhensible : les créateurs de mode ont un goût prononcé pour le morbide. Ne cautionnent-ils pas la beauté anorexique ? Certains photographes ne prennent-ils pas de l’hyperréalisme morbide ? N’a-t-on pas des clichés de filles dans des sacs plastiques enroulées dans des bandes de gaz ? Et comme bouquet final, la beauté mutilée, œuvre de McQueen, esthète pessimiste par excellence.
Voilà, en substance, le réquisitoire dressé contre la mode. La parole est à la défense.
Coup de cœur : Rime, la so vintage
Depuis une poignée d’année, une jeunesse - progressiste - creuse des poches de résistance. Et le changement que l’on observe actuellement est porté à bout de bras par sa génération. Cet état d’esprit infuse également la mode dans un pays où elle n’est pas encore une industrie.
Pour faire bouger les choses, cette génération connectée mise sur les atouts qui sont les siens : la maîtrise des codes visuels et les relais sur les réseaux sociaux.
Rime Ajakkaf, «modeuse» effrénée, s’est fait connaître via Instagram. Elle propose des vêtements entièrement faits main. Pas de collections, mais des pièces uniques. Nous l’avons rencontrée.
Assis sagement dans un recoin du café, et attendant patiemment son arrivée, je méditais pour distraire mon impatience. Quelques minutes passent, et Rime me rejoint enfin. Une présence solaire aux premiers abords. Des airs de diva que lui confèrent son joli petit minois et ses yeux pleins de soleil. J’aperçois vite que cette jeune-là n’est pas une bavarde. Mais, elle cause de la mode en connaissance.
Exubérante, elle l’est. «J’aime ce qui est bizarre», lâche-t-elle d’un ton amusé lorsque je lui demande ce qui lui inspire les pièces que ses followers souhaitent s’arracher plus vite que leur ombre.
Plutôt que d’acheter neuf, elle préfère confectionner ses tenues, biberonnées parfois aux vêtements de seconde main dénichés dans des marchés de la fripe.
Mais quelle tendance vestimentaire se démarquera prochainement ? Quelle couleur fera fureur ? Quel tissu sera un incontournable pour les fêtes ? Sobre ou coloré ? Autant de questions auxquelles les stylistes tentent de répondre avec leurs collections !
Les tendances sont les meilleures ennemies de la mode. Pour assurer une forme de constante rassurante et respectable face à la surdose d’images et d’informations générées par Internet, le style forme d’expression esthétique pérenne est la seule réponse. Pour s’imposer durablement, chaque créateur doit trouver le sien.
En cette ère, par nature anticipatrice, la mode s’inspire du futur pour questionner et repenser la société. La fascination actuelle, de plusieurs créateurs, pour la dystopie joue les remparts contre un monde plus chaotique que jamais, comme pour déjouer l’apocalypse.
Mais, notre jeune femme de 29 ans, passionnée de mode depuis son plus jeune âge, affectionne particulièrement le style à la «Pulp Fiction». Des seventies, eighties & nineties. Des créations textiles aux coupes détonantes et aux matières vintage.
Un parti pris esthétique de cette petite marque (en devenir grâce au tremplin Instagram). A partir d’étoffes dénichées ici et là, Rime imagine un vestiaire fait de vestes pois-perles, de blouses aux manches bouffantes, de hauts volantés, de minijupes en tweed 60’s, ou encore de minirobes trapèze; et les réalise dans son atelier : sa chambre à Casablanca.
Plus fort que le recyclage, Rime s’évertue à faire, par ailleurs, du neuf avec de l'ancien, donnant parfois une seconde vie à des matières destinées à la poubelle en dépassant leur fonction originale. Un ancien rideau ? Il deviendra une robe au motif fleuri par la suite… Le talent d’un grand créateur se jauge à sa capacité de magnifier les choses simples.
Suivez-là sur : www.instagram.com/moroccan.mirage
Par : R.K.H