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Entretien : Green bonds mode d’emploi

green bonds AMMC

 

Les bénéfices d’un financement vert par opposition à un financement classique vont commencer à se faire sentir une fois que le marché aura atteint une certaine taille critique. Pour limiter les risques liés au greenwashing, l’AMMC exige une revue indépendante du processus du green bond avant d’autoriser l’émission. Explications de Nasser Seddiqi, directeur de la Direction des émetteurs à l’AMMC.

 

Finances News Hebdo : Mise à part leur orientation verte, les green bonds restent des émissions ordinaires sur le plan de leurs structurations financières, soit sans avantages particuliers. Dans quelle mesure l’absence d’incitation dans ce segment de marché risque-t-elle de dissuader les PME et TPE à aller vers une mise à niveau environnementale et vers un développement durable ?

 

Nasser Seddiqi : Effectivement, tout type d’obligation peut être structuré en Green bond s’il répond à la condition fondamentale de financer ou refinancer des projets ayant un impact environnemental positif. Dès lors que cette condition est remplie, ces instruments permettent d’offrir un certain nombre d’avantages.

En effet, une émission de green bonds est une occasion de faire publiquement part de son engagement en faveur de la protection de l’environnement et de communiquer sur ses projets en la matière, ce qui permet d’améliorer son image et sa réputation.

Les green bonds présentent également un intérêt sur le plan financier dans la mesure où ils devraient permettre aux émetteurs, lorsque ce nouveau segment de marché aura atteint une taille suffisante, de financer leurs projets environnementaux à de meilleures conditions financières en ciblant directement les investisseurs ayant un appétit pour ce type d’instruments.

En ce qui concerne les incitations dans ce segment de marché, il faut rappeler que les émissions de green bonds constituent un outil de financement des projets environnementaux.

Pour que les entreprises puissent y recou­rir, elles doivent au préalable avoir mis en place une démarche environnementale qui se traduit notamment par l’identification de pro­jets éligibles. Ainsi, dans un premier temps, les incitations auxquelles vous faites référence devraient à mon sens s’orienter davantage vers les projets «verts» en eux-mêmes, en encou­rageant les entreprises à initier de tels projets.

Par ailleurs, pour pouvoir lever efficacement des financements sur le marché, lesdites entreprises doivent être suffisamment structurées et pré­senter un profil attirant pour les investisseurs, ce qui implique également une mise à niveau dans ces domaines.

 

F.N.H. : Est-il envisageable de rendre ces émissions plus intéressantes à terme ? Dans l’affirmative, quand et comment ?

 

N. S. : L’intérêt que présentent les green bonds va sûrement croître avec le temps, à l’image du marché mondial de ces instruments qui, après avoir connu une phase de faible progression suite aux premières émissions réalisées en 2007,

affiche une croissance très rapide depuis 2011.

En effet, il faut noter que les sujets environnementaux prennent de plus en plus de poids dans les orientations mondiales et nationales. Ainsi, davantage de projets éligibles à un financement par des green bonds devraient voir le jour, augmentant mécaniquement le nombre d’émissions de ces instruments.

Une fois que le marché aura atteint une certaine taille critique, les bénéfices d’un financement vert par opposition à un financement

classique vont commencer à se faire sentir : spreads plus avantageux, placement plus facile, maturités plus en adéquation avec la nature longtermiste des projets…

Par ailleurs, certaines actions de régulation vont renforcer l’attrait des green bonds. En effet, les questions de développement durable étant devenues au coeur des politiques publiques, les obligations d’information des émetteurs devraient s’élargir aux informations extra financières.

Ainsi, les émetteurs de green bonds pourraient se démarquer par rapport aux autres, en démontrant une implication à la fois stratégique et concrète dans les problématiques environnementales, améliorant ainsi la perception du marché de leurs risques ESG.

D’autres mesures techniques renforceront également l’attrait des green bonds, tel que la création d’un indice vert qui permettrait aux émetteurs de green bonds d’apparaître sur les «radars» des investisseurs, notamment étrangers, qui recherchent une exposition sur les projets environnementaux.

 

F.N.H. : Qu’est-ce qui incite réellement les émetteurs à lancer des green bonds ?

 

N. S. : La décision d’émettre un green bond peut être motivée par plusieurs raisons, mais il est fondamental que l’émetteur dispose de projets éligibles et respecte certaines bonnes pratiques et recommandations qui sont détaillées dans le guide publié par l’AMMC pour accompagner le développement de ce marché.

Dans l’absolu, l’émetteur d’un green bond peut réaliser, à travers son émission, un ou plusieurs des objectifs suivants :

· Financer ses projets verts aux meilleures conditions : en s’adressant à des investisseurs demandeurs de ces instruments, l’émetteur peut obtenir de meilleures conditions par rapport à une émission classique. Le gain de l’émetteur peut se situer au niveau du taux de sortie de l’émission, au niveau de la maturité de l’émission qui est plus en adéquation avec l’horizon des projets, ou même au niveau de la facilité de placement de l’émission ;

· Améliorer son image et sa réputation en démontrant publiquement une implication stratégique dans la lutte contre les changements climatiques, et aussi en faisant preuve d’innovation financière ;

· Enrichir sa base d’investisseurs, en attirant notamment ceux spécialisés dans l’investissement vert ou socialement responsable.

 

F.N.H. : Le financement de l’adaptation est le parent pauvre de la finance verte à travers le monde. Quels sont les gardefous mis en place pour équilibrer les financements entre les projets d’adaptation et d’atténuation dans le cadre de ces green bonds, afin de ne pas favoriser uniquement les projets financièrement rentables (énergies renouvelables, gestion de déchets…) ?

 

N. S. : La finance verte ne suppose pas une renonciation à la rentabilité financière, elle consiste plutôt à concilier rentabilité financière et protection de l’environnement. Par ailleurs, l’introduction des green bonds constitue un moyen d’assurer que les projets à impact environnemental positif, qu’ils relèvent de l’adaptation ou de l’atténuation, puissent trouver un financement adapté sur le marché. Ils ne constituent donc pas un instrument de politique publique visant à orienter les projets vers l’adaptation ou l’atténuation.

Ainsi, et en ligne avec les meilleures pratiques internationales et les référentiels internationaux en la matière, c’est l’émetteur de green bonds qui détermine les projets auxquels il adosse son émission, tout en respectant les principes et recommandations de l’AMMC.

 

F.N.H. : Les green bonds présentent un risque de «greenwashing». En effet, certains émetteurs pourraient procéder à des émissions de green bonds dans le seul objectif de véhiculer une certaine image de responsabilité environnementale, sans pour autant avoir de projets réellement «verts». Quels sont les mesures prises pour maîtriser ce risque ?

 

N. S. : En effet, le «greenwashing» est l’un des risques inhérents à ce type d’instrument. Par ailleurs, au-delà des cas éventuels de «greenwashing» volontaire, un émetteur de green bonds peut se retrouver accusé de «greenwashing» si les impacts environnementaux qu’il escomptait de ses projets ne se réalisent pas.

Pour limiter ces deux risques, l’AMMC exige une revue indépendante du processus du green bond avant d’autoriser l’émission. La revue doit être effectuée par un tiers indépendant et qualifié, en vue de fournir une assurance raisonnable sur le caractère vert des projets à financer ou à refinancer ainsi que sur les procédures mises en place pour l’affectation et le suivi des fonds levés. Le recours à la revue indépendante protège les investisseurs contre le greenwashing volontaire, et protège aussi l’émetteur des accusations de greenwashing en cas de non réalisation des impacts prévus lors de l’émission.

L'AMMC exige également une communication régulière sur l'utilisation des fonds levés et les impacts environnementaux des projets financés, ces impacts doivent en outre faire l'objet d'une revue par des tiers indépendants et qualifiés. ■

 

Propos recueillis par L. Boumahrou

 

 

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