Les détails relatifs aux sanctions pécuniaires pour les mauvais payeurs ne sont pas encore arrêtés.
Un label «Bon payeur» sera mis en place par la CGEM.
Selon les experts de Coface Maroc, les sanctions ont fait leurs preuves ailleurs.
Par : Badr Chaou
Le rallongement des délais de paiement au Maroc continue de faire tâche dans le climat des affaires. Si d’un côté on se réjouit de l’amélioration du «Doing business» au Royaume, d’un autre côté bon nombre d’entreprises continuent de déposer le bilan suite à des problèmes de fonds de roulement induits, dans la majorité des cas, par des délais de paiement exagérément longs.
Le ministère de l’Economie, des Finances, de la Réforme de l’Administration et la CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc) ont décidé de prendre le taureau par les cornes, et d’appliquer des sanctions sous forme d’amendes pour les mauvais payeurs. Cette décision est, en effet, intervenue lors de la réunion qui s’est tenue le 7 février à l’ODP (Observatoire des délais de paiement), qui a réuni le ministre Mohamed Benchaâboun et Chakib Laalaj, le nouveau patron de la CGEM.
Toutefois, on ignore pour le moment sur quelles bases seront appliquées lesdites sanctions. Interrogée sur le mécanisme de calcul de celles-ci, la CGEM explique «ne pas disposer encore des détails relatifs aux sanctions pécuniaires». «On accompagnera cette loi d'un ‘label du bon payeur’», nous indique-t-on.
Public et privé concernés
Même si l’Etat a donné l’exemple en raccourcissant les délais de paiement et de remboursement de TVA, il n’empêche que cette mesure vise également les entreprises publiques. La décision d’instaurer des amendes s’adresse en effet aux administrations publiques, aux collectivités territoriales, ainsi qu’aux entreprises des secteurs public et privé confondus.
De ce fait, toutes les entreprises présentant un retard à s’acquitter de leurs engagements financiers, se verront contraintes de payer une amende. Notons qu’il a été convenu que le produit des amendes soit, in fine, dédié à l’appui des entreprises.
Il faut toutefois prendre en considération que l’entrée en vigueur de cette sanction doit d’abord passer par la révision des cadres législatifs et réglementaires.
L’amendement doit encore être introduit dans le circuit législatif de la première et deuxième chambre du Parlement après son approbation par le gouvernement. Il sera ensuite appliqué suite à la modification de la loi n° 49.15 qui modifie et complète la loi n° 15.95 relative au Code du commerce.
Que dit le benchmark ?
Le Maroc n’est pas le premier pays à vouloir appliquer des sanctions face aux «retardataires des paiements». D’ailleurs, selon les experts, cette mesure a bien fonctionné chez les pays qui l’ont adoptée.
Selon Mehdi ARIFI, directeur général assurance-crédit du Maghreb chez Coface Maroc, «nous constatons que les pays ayant les plus longs délais de paiement n’instaurent pas de sanction en cas de retard de paiement, en l’occurrence le Maroc et la Turquie. Alors que les pays qui mettent en place des sanctions ont des délais raisonnables, voire très courts».
Effectivement, plusieurs pays, dont les plus développés, ont instauré des mesures de sanctions afin d’améliorer les délais de paiement des entreprises, en ayant recours à divers modes opératoires.
A titre d’exemple, en Espagne, dans les textes légaux, les sanctions sont classées en amendes légères; graves et très graves, avec des montants allant de 60 à 2.000 euros pour les légères, entre 6.000 et 40.000 euros pour les moyennes, et entre 40.000 et 800.000 euros pour les peines maximales.
Différentes bases de calcul
En France, les mauvais payeurs sont sanctionnés d’une amende administrative d’un montant maximal de 75.000 euros pour une personne physique et 2 millions d’euros pour une personne morale.
En Italie, le taux des intérêts de retard est, quant à lui, de 8,15%. «Notons que les intérêts en cas de retard de paiement en Italie ont un certain calcul bien défini. Il faut ajouter 8 points au taux de référence italien. Le taux de référence évolue régulièrement, il est actuellement de 0,15%. Ainsi, le taux des intérêts de retard est donc de 8,15%», nous explique les analystes de Coface.
Dans d’autres pays comme l’Allemagne, on retrouve comme sanction un taux d'intérêt légal entre professionnels de 8 points de pourcentage au-dessus du taux d'intérêt légal qui est de 0,12%, ce qui fait un taux légal de 8,12% par an. Entre personnes privées, ce taux est de 5,12% par an, selon les experts de Coface.
De même, au Royaume-Uni, pour calculer les intérêts en cas de retard de paiement, il faut ajouter 8 points au taux de référence de la Banque d'Angleterre. Le taux de référence évolue tous les 6 mois. Il est actuellement de 0,5%. Ainsi, le taux d'intérêt de retard est de 8,5% actuellement.
50% des entreprises n’y croient pas
Du côté des entreprises marocaines, le scepticisme règne. Celles-ci ne s’attendent toujours pas à une embellie concernant les délais de paiement au Maroc. C’est ce qui ressort, du moins, d’une étude menée par Coface Maroc sur le moral des patrons que nous avons pu consulter.
Selon cette enquête, près de la moitié (49,1%) des entreprises anticipe que les délais de paiement resteront stables dans les six prochains mois, tandis qu’un tiers (33,1%) prévoie un allongement.
Ces résultats sont relativement cohérents avec la perception de l’évolution de l’environnement économique, estiment les experts de Coface. Car 47% des entreprises augurent d’une conjoncture relativement stable, alors que seul 1% se montre optimiste sur les perspectives économiques marocaines, reflétant les 18% d’entreprises interrogées espérant une diminution des délais de paiement sur la période.
Les répondants restent très prudents quant à l’évolution de l’environnement des affaires, car 48% d’entre eux estiment une détérioration, tandis que 41% s’attendent à une stabilisation.
Les opinions des répondants restent relativement optimistes sur les perspectives de l’activité avec 10% d’entre eux qui s’attendent à une baisse de leur CA au cours du prochain semestre, tandis que 58% estiment que ce dernier augmentera. 50% des entreprises constatent une diminution de leur trésorerie. Et 58,9% des entreprises interrogées indiquent avoir des projets d’investissement en préparation dans les mois à venir.
Verbatim : Mehdi ARIFI, directeur général assurance-crédit du Maghreb chez Coface Maroc
Finances News Hebdo : En termes de délai de paiement, la proposition d'instaurer des amendes est venue pour pallier la faiblesse de la loi actuelle?
M.A. : En effet, la loi 49-15 n’est toujours pas appliquée depuis son adoption en 2016 faute de sanctions. Selon notre enquête sur les délais de paiement (2019), la majorité des entreprises préfèrent avoir recours à l’accord à l’amiable en cas de retard de paiement.
Plus de 31% des fournisseurs estiment que l’arrêt des livraisons s’avère la mesure la plus efficace en cas de retard.
A l’instar de nos enquêtes précédentes, plus de 80% des entreprises n’appliquent pas de pénalités en cas de retard. Déjà, seuls 20% ont recours à une mesure contraignante et font intervenir un organisme de recouvrement ou entament une procédure judiciaire.
La culture au Maroc en matière de respect des délais ne pourra atteindre une maturité qu’en présence d’un cadre juridique clair. Il faut donc définir les taux de pénalité et faire appliquer la loi pour pouvoir asseoir une culture de respect sur les délais de paiement.
Il y a donc cette question de l’environnement juridique qui fait partie de l’environnement des affaires. Quand le gouvernement et les autorités marocaines placent la question de l’environnement des affaires en priorité, il est important de clarifier les sanctions appliquées en cas de non-respect de la loi.
L’instauration, dans un cadre légal, d’une sanction pécuniaire est une action concrète qui contribuera à réduire les délais de paiement, améliorer le climat des affaires, mais aussi de protéger les PME qui souffrent le plus de ces longs délais.