Commerce extérieur : Les opérateurs autrichiens lorgnent le Maroc (entretien)

Les opérateurs autrichiens lorgnent le Maroc (entretien)

Une mission commerciale autrichienne représentant plusieurs secteurs est en prospection au Maroc dans le but de renforcer les échanges entre les deux pays. Nous sommes allés à la rencontre de Michael Berger, conseiller commercial à l’Ambassade d’Autriche, qui évoque les secteurs porteurs pour les investisseurs autrichiens au Maroc.

Il livre aussi sa perception de l’adhésion du Royaume à la CEDEAO, pour laquelle il éprouve un certain scepticisme. Entretien.

 

 

Finances News Hebdo : Quel est aujourd'hui l'état des relations commerciales entre le Maroc et l'Autriche ?

Michael Berger : Cette année s’annonce bien. Nos statistiques en Autriche montrent que nous avons une hausse de plus de 26% de nos exportations vers le Maroc et nos achats du Royaume ont aussi augmenté de 17%. C’est une tendance qui s’est déjà confirmée l’an dernier, puisque nous avions enregistré des progressions de 20% dans les deux sens.

Le Maroc a un avantage dans la balance commerciale, c’est-à-dire que l’an dernier, nous avons acheté au Maroc pour 156 millions d’euros et avons vendu pour 135 millions d’euros.  Pourquoi cet avantage en faveur du Maroc ? Ceci s’explique très facilement par les voitures produites à Tanger par Renault-Dacia. Avec l’ouverture prochaine de la nouvelle usine PSA, cela va encore renforcer la position marocaine.

 

F.N.H. : Qu'attendez-vous concrètement de cette rencontre ?

M. B. : Nous avons une douzaine d’entreprises représentées aujourd’hui. Elles sont toutes assez optimistes pour pouvoir développer des affaires concrètes à partir de ces rencontres. Ces dernières sont pour certains un follow-up, un suivi des rendez-vous qui ont été pris lors des précédentes missions. Certains ont déjà leurs représentants et profitent de la mission pour prendre un certain nombre de rendez-vous.

De nouveaux participants sont là pour la première fois. Ils tâtent un peu le terrain, rencontrent des partenaires potentiels pour voir par la suite comment ils peuvent vendre ou placer leurs produits sur le marché marocain.

 

F.N.H. : Quels sont selon vous les secteurs les plus porteurs pour les investisseurs autrichiens ?

M. B. : C’est simple, nous voyons les besoins de votre pays : Avec un grand “I” tout ce qui concerne les infrastructures, avec un grand “E” tout ce qui concerne l’environnement, à savoir le traitement des déchets, le traitement des eaux, énergies renouvelables. Je pense qu’il y a d’énormes besoins. Il y a aussi les produits de consommation où les Autrichiens sont déjà présents comme RedBull et Swarovski. Il faut savoir que des entreprises autrichiennes ont participé à la construction du nouveau TGV qui sera bientôt opérationnel. Les trains qui font les tests, qui prennent des mesures avant la mise en service, ont été équipés avec des appareils en provenance d’Autriche.

Nous avons également une entreprise qui fait du coffrage pour le bâtiment. Ainsi, le coffrage du pont du nouveau contournement de Rabat a été réalisé par une entreprise autrichienne, qui avait dans le temps travaillé sur la grande mosquée.  Récemment, une entreprise autrichienne a décroché un grand contrat pour une station hydraulique au Maroc. Nous avons également la centrale Noor d’Ouarzazate dont les encadrements métalliques ont été fournis par une entreprise autrichienne.  Ça avance ! Certes, 135 millions d’euros d’exportations ce n’est pas encore énorme, mais ça veut dire qu’il y a du potentiel pour beaucoup plus dans l’avenir.

Je suis aussi en charge des relations économiques avec 8 autres pays de l’Afrique francophone…

 

F.N.H. : Quels sont ces pays ?

M. B. : Le Sénégal, la Mauritanie, la Guinée Bissau, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Gambie et le Mali. Nous organisons des missions dans ces pays également, et là bas il y a encore plus de potentiel.

 

F.N.H. : Quels sont les atouts du marché autrichien pour les opérateurs marocains ?

M. B. : Les produits autrichiens sont d’abord réputés pour leur qualité. Parfois vous trouvez des produits semblables qui sont peut-être moins chers mais qui ont une longévité beaucoup moins bonne.

Si vous achetez un produit autrichien, vous y retrouverez une certaine qualité qui fera que vous n’aurez pas besoin de le remplacer rapidement. Un produit autrichien tient un certain temps, généralement ce sont des produits que l’on retrouve dans le secteur technique et qui sont de très haute qualité. De l’autre côté, l’Autriche fait partie de l’Union Européenne, donc avec tout ce qui va avec : la sécurité judiciaire, les systèmes bancaires et la proximité.

 

F.N.H. : Le Maroc se positionne comme un hub pour le continent africain.  Les investisseurs autrichiens voient-ils le Maroc comme une opportunité pour pénétrer par la suite le marché continental ?

M. B. : Je pense que ce n’est pas encore arrivé dans les consciences, mais c’est une idée que nous promouvons. Je sais que c’est une vocation que le Maroc se donne, c’est une vocation que le Maroc démontre quand il y a une délégation qui vient chez nous ou ailleurs, mais c’est une vocation qui n’est pas à 100% partagée par des partenaires africains sur place.

 

F.N.H. : Pourquoi d’après vous ?

M. B. : Quand je leur demande ce qu’ils pensent de l’adhésion du Maroc à la CEDEAO, au Sénégal et en Côte d’Ivoire, pour vous dire franchement, ils sont sceptiques. Je vois cela de façon neutre, mais évidemment nous les Européens, nous nous posons la question : si le Maroc intègre la CEDEAO, qui est également une union douanière, qu’adviendra-t-il des accords que le Maroc a signés avec l’Union européenne, avec les Etats-Unis, avec la Turquie et les pays du Golfe, parce que c’est déjà un réseau de traités internationaux, de libre-échange qui sont en place. Que deviendront ces traités si le Maroc intègre la CEDEAO. 

 

F.N.H. : Justement, selon vous, le Maroc devrait-il ou pas intégrer cette communauté ?

M. B. : Oui, parce que c’est proche, et parce que le Maroc est déjà très présent à travers les banques, les assurances, et certains opérateurs dans certains secteurs sont très présents en Afrique francophone.

La question qui se pose est de savoir si cette adhésion va vraiment augmenter le chiffre d’affaires et les exportations du Maroc avec ces pays. Le Royaume réalise quand même près de 60% de son commerce extérieur avec l’Union européenne et seulement 10% avec les pays africains. Ces chiffres ont augmenté ces dernières années, cela rend optimiste.

Il y a aussi un autre phénomène : le Maroc a souscrit avec d’autres pays africains l’établissement d’une zone de libre-échange sur tout le continent africain. Dans cette optique, le Maroc a-t-il besoin d’adhérer à la CEDEAO au préalable ?

Toujours est-il qu’au vu des réticences de certains pays africains, une telle adhésion en vaut-elle la peine ou non ? Je n’en sais rien. C’est au Maroc de décider, et aux pays membres. Mais gardons à l’esprit que la CEDEAO, c’est un tarif douanier commun extérieur, une union douanière, et cela implique aussi la libre circulation des personnes, comme dans l’Union européenne. Sur ce point, je pense que le Maroc n’est pas encore prêt à accepter la libre circulation des personnes d’un certain nombre de pays africains. C’est une impression, je ne juge pas. Ce sont des questions qui se posent. Par ailleurs, comment allier une union douanière qui existe déjà, c’est-à-dire qui est requise par la CEDEAO, avec les traités de libre-échange déjà en place ? ■

 

Propos recueillis par L. Habboul

 

 

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