Cannabis à usage médical: une aubaine pour le Maroc

Cannabis à usage médical: une aubaine pour le Maroc

L’usage du cannabis à des fins médicales et industrielles aura un impact économique pour le pays et pour les cultivateurs. On parle d’au moins 1 milliard de dollars à gagner pour le Maroc. 

Le marché mondial du cannabis médical connait une forte croissance, près de 20% par an, et devrait atteindre 57 milliards de dollars en 2026.

Abdelmajid Belaïche, membre de la Société marocaine de l’économie des produits de santé, consultant en industrie pharmaceutique et analyste des marchés pharmaceutiques, décortique pour nous plusieurs aspects de cette plante aux multiples facettes.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

 

Finances News Hebdo : Quel regard portez-vous sur le projet de loi relatif à l’usage légal du cannabis ?

Abdelmajid Belaïche : Je dirais qu’il était temps. Le Maroc a malheureusement pris beaucoup de retard en matière de légalisation du cannabis à des fins médicales ou industrielles. Bien entendu, le cannabis «récréatif» reste toujours prohibé. Il a fallu beaucoup de courage pour ouvrir le débat sur un sujet longtemps considéré comme étant tabou et sur une plante qualifiée de «honteuse». La légalisation du cannabis est devenue, aujourd’hui, un enjeu éminemment politique, mais nous ne devons pas oublier les véritables enjeux qui sont socioéconomiques, sécuritaires, médicaux, industriels et scientifiques. Aujourd’hui, nous avons une loi pour encadrer l’usage légal du cannabis (loi 13-21 portant usage légal du cannabis) et une Agence nationale spécialisée qui sera chargée de l’achat et de l’acheminement du cannabis vers les entreprises qui vont le transformer à des fins médicales ou industrielles.

 

F.N.H. : L'usage du cannabis à des fins médicales peut générer des revenus considérables, des retombées économiques indéniables, notamment pour l’industrie pharmaceutique. Qu’en est-il ?

A. B. : Le chiffre d’affaires mondial du marché du cannabis est considérable et celui du cannabis légal médical, même s’il ne représente qu’une petite partie, reste important et surtout très évolutif. Il représente une croissance annuelle de +20% par an dans le monde et +60% en Europe, notre futur marché cible à l’export. Le Maroc est le premier producteur et exportateur mondial de la résine de cannabis. Cet «or vert» est certes une richesse nationale, mais une richesse qui n’a jamais profité à l’Etat. Bien au contraire, son trafic a généré des coûts importants pour lutter contre le trafic de la drogue et les réseaux mafieux qui l’animent. De même, le trafic du cannabis a très peu profité aux producteurs qui ne récupéraient qu’une infime partie du pactole cannabique, alors qu’ils étaient constamment sous la menace d’incarcérations.

Une légalisation du cannabis à des fins médicales et industrielles aura certainement un impact économique remarquable pour le pays et pour les cultivateurs, mais cet impact ne sera certainement pas de l’ordre de grandeur des chiffres actuellement réalisés au niveau du trafic de drogue. En effet, les phénoménaux chiffres d’affaires réalisés par les réseaux mafieux s’expliquent par l’importance des moyens mis en jeu par eux, pour déjouer les moyens de l’Etat et sa vigilance (corruptions, moyens de transport au niveau national et international et les importantes rétributions des nombreux intermédiaires et des dealers).

Le fait que le Maroc soit un champion mondial du cannabis illicite ne voudra pas dire forcément qu’il sera aussi le champion mondial du cannabis légal, et notamment médical. Mais notre pays n’a pas intérêt à rater la légalisation du cannabis et ses multiples bénéfices. Il doit dès à présent se positionner dans le marché international du cannabis légal, même si la concurrence sera rude. On estime que le Maroc et la population productrice y gagneront au moins 1 milliard de dollars. Pour arriver à relever le challenge, il faudrait aussi des recherches agronomiques pour développer une variante du cannabis qui soit à la fois hyperproductrice, beaucoup plus riche en cannabidiol (CBD) à usage médical qu’en Tétrahydrocannabinol (THC) psychoactif et, surtout, peu gourmande en eau.

 

F.N.H. : Le cannabis aux bienfaits thérapeutiques est prescrit contre les pathologies lourdes. Dans quel genre de maladie ou traitement le cannabis médical peut-il être préconisé ?

A. B. : La liste des bienfaits thérapeutiques, démontrées par de nombreuses études scientifiques, est très longue. Pour résumer, nous dirons que le cannabis est utilisé dans le cadre des soins palliatifs comme un puissant antidouleur chez les patients atteints de cancers et dans le traitement de certains effets indésirables des chimiothérapies. Mais il semblerait aussi que ce produit a une action directe sur la prolifération des cellules cancéreuses qu’il freine. Le cannabis a aussi de nombreuses indications en neurologie, telles que la sclérose en plaque, l’épilepsie, le parkinson, etc. Toutefois, c’est dans le domaine de la psychiatrie où les indications sont les plus nombreuses…

 

F.N.H. : Une formation préalable au cannabis médical s’impose-t-elle ?

A. B. : Bien entendu, l’introduction de ce produit jamais utilisé avant dans la médecine officielle exigera une formation sur les aspects pharmacologiques et toxicologiques (indications, contre-indications, précautions d’usage, posologies et effets indésirables…). Cette formation concernera l’ensemble du corps médical, pharmaceutique et paramédical.

 

F.N.H. : Le circuit du cannabis médical a un fonctionnement bien particulier, allant de la prescription par le médecin à la délivrance par le pharmacien, en passant par l’approvisionnement et le transport. Un mécanisme juridique et un protocole bien défini s’imposent-ils pour encadrer son usage ?

A. B. : Absolument  ! Et cela voudra dire qu’au niveau de la délivrance au niveau des pharmacies, le cannabis sera traité comme des produits psychotropes dont la délivrance est strictement encadrée, avec enregistrement de l’identité des patients concernés sur un registre tenu par les pharmaciens. La production et le transport du cannabis des lieux de production jusqu’aux unités industrielles seront bien entendu surveillés et sécurisés pour éviter tout détournement vers les circuits informels des mafias de la drogue. De telles mesures auront pour conséquence inévitable de tarir les sources des réseaux mafieux qui alimentent le marché de la toxicomanie, si ce n’est pas en totalité, du moins en grande partie.

Comme vous l’avez certainement remarqué, la police, la gendarmerie et la douane ont fait ces derniers temps des saisies record jamais atteintes par le passé. Ceci s’explique non seulement par la vigilance accrue de ces agents de sécurité, mais aussi l’affolement et la panique de ces réseaux mafieux devant la perspective d’une légalisation qui leur enlèvera la précieuse manne cannabique. Cet affolement les a certainement poussés à constituer rapidement des stocks et, surtout, à tenter de les sortir du pays. Et la panique est toujours génératrice de fautes mortelles pour ces mafias. Quant aux utilisateurs lambda, ils auront de plus en plus de difficultés à s’approvisionner et les prix des doses monteront certainement en flèche. Notre pays doit mettre en place plus de structures de lutte contre les addictions et l’accompagnement médical des usagers.

 

F.N.H. : 22 pays en Europe sur 27 ont autorisé le cannabis à usage médical. Actuellement, la France teste le cannabis médical sur 3.000 patients. Quel est votre avis sur l’introduction de cette plante dans l’offre pharmaceutique ?

A. B. : Le cannabis et certains de ses extraits ont déjà fait leur preuve dans le traitement de certaines maladies, y compris les plus graves, telles que les cancers. L’introduction de cette plante dans l’offre pharmaceutique va d’abord garantir la qualité des extraits de cannabis, la constance de leur dosage et la traçabilité des origines des produits à travers un circuit officiel de commercialisation pharmaceutique bien verrouillé. Cela va éviter toute contamination du circuit par des produits d’origine inconnue ou contrefaits. De même, elle évitera ou du moins limitera le détournement à des fins toxicomaniaques. 

 

Les chiffres-clés de la production illicite actuelle du Maroc en cannabis

• Le Maroc est considéré comme étant le 1er exportateur mondial de la résine du cannabis.

• Une production annuelle de 700 tonnes de cannabis essentiellement sous forme de résine et essentiellement destinée à l’Europe.

Un chiffre d’affaires annuel estimé entre 15 et 23 milliards de dollars (soit 10 à 15 fois le C.A de l’industrie pharmaceutique au Maroc).

• Près de 55.000 hectares cultivés en 2019 contre 47.500 en 2018, selon le rapport 2020 de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC).

• 80.000 à 120.000 familles vivent de la production du cannabis, mais ne récupèrent que 4% du chiffre d’affaires final du cannabis exporté.

 

 

 

 

 

 

 

 

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