Les compagnies d'assurances marocaines n'ont même pas fini l'implémentation du grand chantier de la solvabilité basée sur les risques qu'elles doivent se préparer à la norme IFRS 17.
Son entrée en vigueur est prévue pour 2022, voire 2023, mais les professionnels parlent déjà de retard au Maroc.
Par A.H
Le secteur financier n’en finit pas avec les normes comptables et réglementaires qui pèsent sur la rentabilité des fonds propres en exigeant toujours plus aux actionnaires. IFRS 9, IFRS 16, solvabilité basée sur les risques, etc., l'inflation réglementaire et comptable que l'on observe depuis quelques années appauvrit le secteur à court terme, mais le rend plus résilient et l’introduit mieux dans la finance mondiale à moyen terme.
Depuis 2 ans, IFRS 9 et son impact de plusieurs milliards de dirhams ont pesé sur la capitalisation des banques, les poussant à solliciter les marchés et leurs salariés pour se renflouer pour plus de 10 Mds de dirhams en l'espace d'une année.
La vague risque bientôt de toucher les assurances avec la norme IFRS 17, qui va structurellement modifier la comptabilité des contrats d'assurances et la classification des passifs des compagnies partout dans le monde.
Cette norme prévoit que chaque portefeuille de contrat soit divisé en trois catégories : les déficitaires, les bénéficiaires et les contrats à risque, et ce sans possibilité de communiquer entre les contrats. Les règles de provision évoluent et la classification des fonds propres des compagnies aussi.
L'objectif est de lisser les résultats tout au long du cycle de vie des contrats et ainsi réduire la volatilité des capitaux propres.
Bémol : la première application de cette norme devrait consommer beaucoup de capitaux. «L'impact sur les fonds propres des compagnies d'assurances sera bien plus important que ce qu'a été IFRS 9 sur les capitaux des banques», prévoit Driss Tissoudal, directeur associé du cabinet d'audit et de conseil Lendys Africa, à l'occasion d'un séminaire sur le sujet organisé en partenariat avec l'Association marocaine des consolideurs financiers (AMCF).
L'entrée en vigueur de la norme, prévue initialement pour 2021, a été reportée à 2022 à la demande des pays d'Amérique du Nord, Etats-Unis et Canada en l'occurrence. Les assureurs de la zone Euro souhaitent, eux, le report de son application à 2023 pour mieux se préparer à sa mise en place.
Driss Tissoudal, qui a déjà travaillé sur des dossiers de mise en œuvre dans d'autres pays d'Afrique, trouve que le marché marocain a pris du retard.
«La majorité des compagnies marocaines n'a même pas constitué d'équipes dédiées à la mise en place de la norme», nous déclare-t-il. Selon lui, les compagnies à capitaux étrangers seront les premières à s'y mettre.
Harmoniser le passif des assurances
Alexandre Bru, associé fondateur du cabinet Lendys, rappelle la genèse de cette norme : «Elle est à l'étude depuis 10 ans, avec pour objectif d'extraire les compagnies des normes comptables locales et les inscrire dans un cadre normatif facilitant la comparaison et la lisibilité pour les investisseurs».
L'harmonisation de l'estimation des passifs d'assurance en est effectivement le point pivot et les actuaires auront un rôle primordial dans sa mise en œuvre, renforçant de plus en plus leur position dans les fonctions financières suite à Solva2 en Europe, solvabilité basée sur les risques (SBR) au Maroc, norme réglementaire que l'ACAPS, régulateur du secteur, installe en douceur.
Racha Mezher, actuaire manager chez Lendys, conseille de profiter de la mise en place de SBR ou Solva2 pour passer à IFRS 17. Pour elle, «il ne faut pas partir d'une feuille branche, mais capitaliser sur Solva2».
Outre les contraintes sur les fonds propres, la norme exige un effort organisationnel aux compagnies : des systèmes d'information à la communication financière, tous les métiers supports sont recrutés dans le processus de mise en œuvre.
Racha Mezher conseille de s'y mettre très tôt si l'on définit un degré de granularité élevé. Les assureurs européens insistent sur le risque financier provenant de la méthode de transition retenue ainsi que sur les exigences de reporting conduisant à une double présentation comptable pour les groupes et les entités en social, considérée coûteuse et non nécessaire selon eux.
Reste à savoir comment va s'y prendre le marché marocain qui, avec le projet SBR et IFRS 17, a vraisemblablement de quoi s'occuper pendant plusieurs années. ◆