Par Rachid Achachi enseignant en Sciences de gestion, consultant et chroniqueur
Dans le dernier discours royal prononcé à l’occasion du 68ème anniversaire de « la Révolution du Roi et du Peuple », une phrase en particulier vient résumer l’essence même des attentes du Souverain quant à l’implication des forces vives de la nation dans la défense des intérêts suprême du pays :
« Si par le passé, la Révolution du Roi et du peuple a constitué un tournant historique pour le Maroc dans sa quête de la liberté et de l’indépendance, aujourd’hui s’ouvre devant nous une nouvelle étape où le patriotisme sincère est de mise pour relever les défis internes et externes ».
L’expression « patriotisme sincère » qui dans une situation idéale aurait été un pléonasme, ne constitue pas ici une simple figure de style ou une ornementation rhétorique, mais renvoie à paradigme qui mérite d’être analysé en profondeur et défini de manière claire et tranché.
On peut dans un premier temps le définir par ce qu’il n’est pas, en le distinguant de ce que je qualifie de « patriotisme des pancartes », celui du pathos, de l’émotionnel qui étant par naturel fugace et contingent, ne saurait servir de base à une vrai cohésion et dynamique nationale. Ce patriotisme n’exige aucun sacrifice, se dégonfle à la première adversité et change facilement de camp en fonction des aléas de l’actualité ou des intérêts particuliers.
Privé d’un profond ancrage des valeurs fondatrices de notre civilisation mais surtout dépourvu d’une fine compréhension des grands enjeux contemporains et défis majeurs du Maroc, cette posture ou imposture patriotique selon les cas, n’épargne ni l’élite, ni la classe moyenne ni les couches populaires. Elle est le résultat objectif de trois éléments.
Le premier c’est le manque cruel de communication entre l’Etat et le Peuple concernant les grandes questions nationales. Car mis à part le Roi qui à travers ses discours apporte un éclairage et une visibilité aux citoyens quant aux orientations majeures du pays, qui au Maroc explique aux citoyens pourquoi ils devraient se sentir mû et fermement engagés par ces questions qui leur paraissent souvent lointaines et abstraites ?
Le gouvernement dirigé par Saad Dine El Otmani? La crise sanitaire a démontré que l’exécutif ne sait globalement communiquer qu’à coup de décrets et décisions de minuit, quand il ne se mure pas dans un silence de mort.
Le Ministère des affaires étrangères ? Sans rien ôter à l’excellent travail réalisé ces dernières années,, force est de constater qu’au niveau communicationnel, les citoyens marocains peuvent plus facilement se renseigner auprès des médias étrangers et des fuites occasionnelles de documents, qu’auprès du ministère lui-même ou de ces rarissimes interventions dans les médias nationaux.
Les élus ? Mis à part quelques exceptions, n’en parlons même pas.
Les partis politiques ? Ces derniers, par une autocensure totalement anachronique et en s’inventant des tabous politiques imaginaires, préfèrent investir les questions payantes électoralement, et souvent quelques semaines avant les échéances électorales.
Le deuxième c’est la faillite éducative. Car l’instruction, les valeurs et la conscience politique sont ce qui sépare la foule et la masse, du Peuple et de la Nation. Etant dépourvue de culture, de morale profondément ancrée et de d’esprit critique, l’intelligence de la masse se construit à travers un nivèlement par le bas. Souvent incontrôlable et toujours manipulable, elle sert d’armée de réserve autant aux partis politiques qui en font des situations de rentes politiques qu’au marché qui y voit un émonctoire de sa surproduction.
Car le Peuple, contrairement à la masse, est une réalité culturelle et civilisationnelle qui se définie par rapport à des valeurs, des principes et un devoir de solidarité. Quant à la Nation, elle est l’expression politique du Peuple en acte.
Enfin, le vide idéologique. Entre l’effondrement de la gauche marocaine, l’ascension de la technocratie et d’un certain populisme conservateur, les marocains n’ont plus le droit depuis des années qu’à des discours politiques stériles ou populistes sans profondeur aucune, mais parsemés ici et là d’un vocabulaire importé clé en main. Car étant la traduction politique et philosophique d’une vision culturellement ancrée, l’idéologie sert de ciment invisible et d’horizon collectif au peuple. Elle offre à l’Etat une capacité d’enrôlement et de canalisation des énergies et des talents, qu’il peut intégrer dans un projet national dépassant les subjectivités et les intérêts particuliers. De même, inscrit dans le cadre d’une grande idée nationale, le sacrifice acquiert un caractère naturel. Car quel marocain serait prêt à sacrifier son confort, son temps, ses efforts, voire sa vie pour « la bonne gouvernance » ? Pour un meilleur classement dans le « Doing Business » ? Ou encore pour une meilleure note auprès de « Fitch Rating » ou de « standard and poor's » ? Aucun. Par contre, beaucoup sont prêt à le faire pour la grandeur de leur pays, pour la dignité, pour la liberté et la souveraineté, autrement dit pour des idées.
Il en résulte qu’il ne peut être question de patriotisme sincère et intelligent, sans une conscience collective, un peuple instruit, éduqué et vivant dans la dignité, et un cadre idéologique capable d’offrir un horizon politique et civilisationnel à tous les citoyens.
Ces missions, nous incombent à tous, partis politiques, société civile et citoyens. Il serait ainsi vain de chercher des bouc-émissaires, là où il s’agit de fédérer les forces vives, de lancer de nouvelles dynamiques et de faire preuve de responsabilité et d’engagement autant individuel que collectif.