Il y a un indéniable constat. Aujourd’hui, les pays européens ne semblent avoir qu’une seule obsession, une préoccupation presque unique. Comment gérer les vagues migratoires qui s’abattent avec régularité et force sur leurs rives ? Les Sommets se suivent et posent les mêmes angoisses. Quelles solutions communes et solidaires pour d’abord, stopper ce flux migratoire, et ensuite, gérer ses conséquences économiques et sociales ?
Il faut dire qu’il y a un énorme point commun politique entre les différents pays européens. L’extrême droite, quand elle n’a pas déjà conquis le pouvoir comme c’est le cas en Italie avec Giorgia Meloni, est en train de ronger ses freins et de piaffer d’impatience dans la plupart des écuries partisanes en Europe. Avec les récentes images de la petite île italienne de Lampedusa, l’extrême droite, déjà très haut dans les sondages, se sent pousser des ailes. En Allemagne avec l’AFD comme en France avec le Rassemblement national, tous les rêves lui sont désormais permis.
Deux éléments cruciaux jouent actuellement en sa faveur. D’abord, la couverture médiatique de ces nombreux petits bateaux à l’assaut de Lampedusa est déjà utilisée par l’extrême droite comme un carburant de propagande pour convaincre les hésitants, arracher leur adhésion et élargir sa zone d’influence. Cette extrême droite avait bâti son argumentaire politique sur les visions cauchemardesques d’envahissement massif de population et de grand remplacement. Les scènes autour de Lampedusa sont venues donner de la chair à ses fantasmes.
Le second facteur qui nourrit la puissance de l’extrême droite, réside dans l’incapacité des gouvernements d’Europe à trouver des solutions communes et efficaces pour stopper ces flux. Les pays de l’Union européenne multiplient les rencontres au sommet, les diagnostics les plus pessimistes, mais leurs incapacités à jouer les mêmes notes sur les mêmes violons montrent non seulement une faiblesse mais aussi un combat pour ‘le chacun pour soi’ égoïste là où il fallait une politique commune, solidaire et cohérente entre eux.
Récemment, la compétition politique et symbolique entre Français et Italiens sur ces problèmes incarne à merveille ces fissures entre Européens. Dans le dernier sommet des pays méditerranéens de l’Union européenne, tenu à Malte, Emmanuel Macron et Giorgia Meloni ont essayé de faire bonne figure et de donner cette impression que les deux chefs d’Etat tirent dans la bonne direction. Mais il s’agit là d’une simple illusion d’optique. Ce que demandent les Italiens des Européens comme un signe européen et une volonté de partage de fardeau, ni Paris ni Berlin encore moins certaines capitales de l’Europe de l’Est ne peuvent l’accepter sous peine de dérouler le tapis rouge devant le pouvoir à l’extrême droite.
La doxa européenne en la matière continue de demander l’application stricte des accords européens sur l’immigration déjà existants. Ces accords consistent à charger les premiers pays d’arrivée de ces migrants de traiter leurs demandes d’asile et de les répartir selon une règle bien définie sous forme de quotas sur l’ensemble des autres pays européens. L’Italie de Giorgia Meloni dénonce depuis des mois cette législation européenne qu’elle estime injuste. Elle exige non seulement une augmentation des aides financières de la part de l’Europe, mais aussi un partage immédiat des migrants à leur arrivée. Ce que refusent catégoriquement certains pays européens.
Devant cette impasse, Giorgia Meloni a sorti l’argument massue qui risque de faire voler en éclats le difficile et fragile consensus européen en la matière. Elle ne demande ni plus ni moins que de cibler les bateaux des ONG qui secourent en Méditerranée le flux de migrants qui part de Tunisie ou de Libye. Elle menace d’exiger que les ports d’accueil de ces bateaux soient ceux des pays dont ils portent pavillon. Si cette demande est acceptée, elle risque de provoquer une grande désorganisation dans les opérations de secours humanitaires et d’accueil de migrants.
Ce que vit l’Union européenne à travers cette crise migratoire est un grand examen aux conséquences politiques beaucoup plus graves que toutes les crises passées. Il s’agit d’agir ensemble sous peine de se fracturer sur les dures réalités des flux migratoires. L’Union européenne en tant qu’architecture politique a déjà essayé de conclure un gigantesque contrat de coopération aux multiples facettes avec la Tunisie pour tenter de stopper cette migration depuis les pays de transit. Les épreuves vécues récemment à Lampedusa montrent les limites de cet accord et donc l’échec de cette vision européenne à revoir de toute urgence.
Par Mustapha Tossa