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Sahel :«Notre indifférence envers les coups d’Etat serait une faute collective»

Sahel :«Notre indifférence envers les coups d’Etat serait une faute collective»

Le coup d’Etat au Niger est un de plus, un de trop, pour la région sahélienne. Le retour de la prise de pouvoir par la force militaire traduit le malaise profond, voire structurel, que vit une partie de l’Afrique à ses dirigeants et à ses institutions. L’alternance politique qui serait en mesure de pacifier les transitions politiques ne s’est pas encore inscrite dans les mœurs politiques. Chaque dirigeant aussi populaire et légitime qu’il soit, semble ne pas résister à cette fâcheuse tendance à vouloir contourner le cadre constitutionnel en vue de prolonger son régime. Et, sur un autre front, il est constaté de plus en plus celle de voir les militaires sortir de leurs casernes pour prendre le pouvoir. Des évolutions qui entraînent nécessairement frustrations et instabilités chroniques annihilant les efforts de décennies de développement.

Dans le contexte actuel, les  organisations régionales et internationales (Union africaine, CEDEAO, Nations unies, Union européenne…) apparaissent comme impuissantes à faire plier les juntes militaires qui prennent le pouvoir par la force. Les pressions internationales n’ont que peu d’effet sur les «putchistes» qui réagissent aux pressions, voire menaces interventionnistes, venant de l’extérieur avec un «culot» invraisemblable et inimaginable, il y a peu d’années auparavant, 

D’un point de vue géopolitique, ce coup d’Etat démontre avec évidence le basculement préoccupant d’une partie de l’Afrique et non des moindres, à savoir le Sahel et l’Afrique de l’Ouest, vers la remise en question de la légalité institutionnelle et du droit international en s’appuyant, s’il le faut, sur des forces occultes, telles que le groupe Wagner, et sur des discours mobilisateurs antioccidentaux de circonstance. En effet, cette région au cœur de l’Afrique regorge d’importantes richesses naturelles, énergétiques et culturelles ainsi qu’une jeunesse bien formée. Elle représente une superficie totale d’environ 3 millions de kilomètres carrés. La population des 6 pays du Sahel (Sénégal, Tchad, Niger, Mali, Burkina Faso, Mauritanie) passerait d’environ 100 millions de personnes actuellement à 330 millions en 2050 si les taux de natalité actuels se maintiennent (3,9% par an). Le Niger par exemple détient actuellement le record du monde de fécondité avec 7,6 enfants par femme.

L’enseignement principal à en tirer est que nous assistons par ces évènements à l’échec de la «politique» au sens le plus fort du terme. D’abord, en termes de réponses économiques et sociales aux difficultés des populations dans des pays très vastes en superficie et aux frontières poreuses exploitées par les groupes terroristes. En second lieu, il s’agit de pays aux richesses très convoitées par les puissances étrangères. Celles-ci ont, à leur tour, une responsabilité dans la situation actuelle. Celle de ne pas mettre les moyens pour véritablement aider ces pays à sortir d’une économie primaire,  mues par leurs intérêts et surtout par leurs stratégies électoralistes et les surenchères politiciennes. Ces mêmes puissances profitent de l’incapacité des dirigeants africains à négocier de manière souveraine des termes de l’échange favorables à l’économie locale pour monter en gamme en matière de développement humain (éducation, santé, logement, infrastructures…) et de chaînes de valeur locales (agro-industrie, artisanat, BTP, infrastructures, …). 

Les puissances étrangères se suffisent le plus souvent à des projets de coopération sans envergure et sans coordination, saupoudrés ici et là dans les territoires des pays concernés, justifiant par là-même leur présence par une aide au développement dont le bénéfice revient presque toujours au pays qui en est à l’origine. Cela est noté même dans les organisations multilatérales, vu le poids pris par les fonds conditionnels et les fonds liés.

La France, partenaire historique et traditionnel du Sahel francophone, s’est dévouée plus que d’autres nations en envoyant ses enfants se battre contre le terrorisme au Sahel. Un acte politique très honorable et très respectable (opérations Serval et Barkhane) auquel il revient de rendre hommage en mémoire aux nombreux jeunes soldats tombés sur le champ de bataille au Sahel. Mais force est de constater que là aussi les résultats sont tout relatifs au regard du rejet actuel de l’intervention militaire française dans cette région du monde. Une posture risquée de la part des «putschistes» car les groupes terroristes mobiles et flexibles vont en profiter pour occuper le terrain. 

Aussi, apparaît-il nécessaire au-delà des polémiques stériles et du contexte émotionnel que suscite ce dernier coup d’Etat au Niger, de repenser «le politique» dans une Afrique de plus en plus meurtrie par l’instabilité et l’insécurité, comme si nous assistions au retour des démons qui ont miné dans le passé le développement au sein du continent. Les approches traditionnelles (aide au développement, interventions militaires, pressions internationales…) ont fait leur temps. Il faut désormais imaginer des solutions qui permettent à l’Afrique de se développer et de se défendre par elle-même. L’exercice n’est pas simple, plutôt complexe, car presque tout a été essayé. Il met au défi les Africains et la communauté internationale à reprendre la réflexion sur de nouvelles bases politiques, méthodologiques et intellectuelles.

A quelques années de l’année 2030, le terme fixé par les Nations unies pour faire le bilan des Objectifs de développement durable (ODD-2030), nous sommes encore loin du compte pour anticiper un bilan positif. Les données de la Banque mondiale indiquent, par exemple, que selon la trajectoire actuelle de l’Afrique, le continent  comptera encore 479 millions d’Africains (soit 28,1% de sa population) qui vivront dans une extrême pauvreté d’ici 2030. La conséquence serait alors l’aggravation des crises sociales avec son lot de pauvreté et de migrations économiques et climatiques pour une jeunesse dont les opportunités s’amenuisent. 46 à 50% des habitants aujourd’hui dans cette région ont moins de 15 ans (soit plus du double de la moyenne mondiale qui se situe à 26%) et près de 63% de cette population ont moins de 24 ans. D'après le PNUD, l'indice de développement humain (IDH) -indice composite qui mesure le niveau moyen atteint dans trois dimensions essentielles du développement humain : santé et longévité, accès à l'éducation et niveau de vie décent- des pays du Sahel figurent parmi les plus faibles du monde . Le Niger étant rangé à la dernière place parmi les 189 pays comptabilisés. Il y aurait peut-être là également l’une des raisons à ce coup d’Etat. 

Entre 3 et 5 millions de personnes auraient quitté le Sahel depuis les indépendances. Elles seront probablement autour de 40 millions d’ici à la fin du siècle . Or, la fermeture des frontières face aux migrants dans les régions relativement plus prospères supposées accueillir les migrants africains (Afrique du Nord, Afrique australe,  Europe, Amériques, Asie…) ne fera qu’aggraver les tensions politiques et sociales dans ces mêmes pays. Dans un tel contexte, il est évident que l’actualité au Niger et au Sahel nous concerne tous et ne doit en aucun cas nous paraître comme des évènements isolés et éloignés, ce serait une faute collective, surtout en tant qu’Africains.

 

Par Taoufiq Boudchiche, économiste, vice-président Association diplomatie sud-nord 

 

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