◆Le besoin en financement d’investissement est une faiblesse chronique de l’environnement des affaires au Maroc, estime Lahcen Haddad, député Istiqlalien et ex-ministre du Tourisme.
◆Selon lui, les banques commerciales ne sont pas dans une logique d’investissement mais dans une logique de rentabilisation de la liquidité.
◆La mise en place d’une Banque publique d’investissement permettrait de collecter et placer de l’argent sur le long terme, afin d’accompagner les projets nécessitant des financements à long et très long terme.
Propos recueillis par F.Z.O
FNH : Selon-vous le secteur bancaire au Maroc a-t-il les capacités suffisantes pour financer la relance vigoureuse de l'économie ?
Lahcen Haddad : Les banques disposent de capacités suffisantes pour accompagner la relance avec le refinancement de Bank Al-Maghrib. Toutes seules elles ne le feront pas. Regardons juste la question du financement des intérêts induits par le rééchelonnement des prêts des entreprises! Sans l’intervention de l’état les banques ne voudront pas subir seules les frais des reports des échéances.
FNH : Quel accompagnement font les banques des projets d’investissement en général?
L.H : Les banques sont généralement dans une logique de rentabilité rapide! Elles préfèrent plus les crédits de consommation, les crédits de trésorerie et les prêts sur le court et moyen terme! Elles font du crédit logement pour diversifier leur portefeuille, mais ce genre de crédit est garanti par des hypothèques. Mais pour les projets d’investissement, surtout des PME et des TPE, les banques restent frileuses, même en présence de la garantie CCG combinée avec des sûretés réelles apportées par les promoteurs.
En général, les banques préfèrent placer leur excédent de liquidité dans le marché monétaire, peu rentable mais sûr, que de s’aventurer dans des projets d’investissement sur le long terme.
Les déboires du Plan Azur ont pénalisé l’accompagnement bancaire de l’activité touristique tout entière! Aussi les déboires des grands ténors marocains de l’immobilier ont découragé certaines banques à accompagner ce secteur, malgré l’existence de petites niches très intéressantes, dans tout le royaume, qui sont toujours financées par certaines banques.
Autre exemple, la part de l’industrie dans le financement bancaire est de 9%, dont 56 % sont juste des dépassements et 23 % des financements de projets d’investissement. Mettre en place une vraie stratégie industrielle après la crise du Covid-19 ne peut se faire uniquement avec les banques commerciales.
Les banques commerciales ne sont pas dans une logique d’investissement mais dans une logique de rentabilisation de la liquidité.
Ne serait-il pas opportun alors de réactiver une banque comme la BNDE pour financer la relance ?
Depuis la disparition de la BNDE (Banque nationale pour le développement économique) nous n’avons plus de banque d’investissement.
Les banques commerciales ne disposent pas d’instruments de collecte et de placement financier sur le long terme, ce qui limite leur capacité à participer à des projets nécessitant des moyens financiers à long terme.
Une banque nationale d’investissement est nécessaire. Bien sûr, il ne faut pas répéter certaines des mauvaises pratiques de la BNDE. Mais regardons du côté français où la Banque Publique d’Investissement (BPI) semble avoir du succès dans l’accompagnement des entreprises dans leur croissance.
Une Banque pour l’Investissement doit pouvoir collecter et placer de l’argent sur le long terme; elle doit être dotée de la garantie de l’état (ce qui lui donne une crédibilité sur les marchés); et elle a comme but d’accompagner les projets nécessitant des financements à long et à très long terme. Elle peut même assister les entreprises en difficulté. Elle peut mettre en place des fonds de garantie, des prêts pourl’innovation et pour les start-up, des instruments de préfinancement des crédits d’impôts ainsi que des fonds d’investissement dédiés aux PME et aux TPE.
Une banque d’investissement peut compléter le capital comme elle peut émettre des obligations subordonnées pour le compte des entreprises.
Une telle banque sera d’une grande utilité aussi bien pour la période post-Covid19 pour soutenir les efforts de relance,mais sur le long terme également. Le besoin en financement d’investissement est une faiblesse chronique de notre environnement des affaires.
FNH : Quels sont à vos yeux les conditions de réussite du plan de relance que prépare le gouvernement ?
L.H : Il faut tout d’abord maîtriser la situation épidémiologique et faire un pilotage intelligent pour apprendre à vivre avec le virus sans subir ses effets néfastes à grande échelle. Il faut aussi mobiliser tout le monde autour de la même démarche. Un ennemi commun nécessite un effort national unifié.
Du point de vue économique, il faut qu’on injecte suffisamment de liquidité dans l’économie pour lui donner un coup de fouet nécessaire pour sa relance ! Aussi faut-il mettre en place des indicateurs comme l’emploi, les réserves en devises, la rentabilité fiscale, la sécurité alimentaire et la sécurité sanitaire dans la priorisation de l’action gouvernementale de soutien aux secteurs.
Enfin, il faut donner une attention particulière aux secteurs structurants comme le secteur du tourisme : sauver le tourisme aura un impact salvateur sur l’artisanat, l’aérien et l’industrie culturelle et créative.