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Mobilité durable : la bataille mondiale sur les véhicules électriques

Mobilité durable : la bataille mondiale sur les véhicules électriques

Par Omar Fassal *

 

La bataille est mondiale, avec une question en ligne de mire : qui dominera demain le marché des véhicules électriques  ? C’est aujourd’hui, alors que plusieurs nations sont encore hésitantes, que se décident les gagnants de demain, qui investissent audacieusement un marché en pleine ébullition. Le volume du marché a doublé en une seule année ! Nous sommes passés de 3,3 millions de véhicules vendus de par le monde en 2020, à 6,7 millions en 2021.

Les véhicules électriques à batterie représentent 71% du total des ventes en 2021, une part stable par rapport à l’année précédente. Les véhicules hybrides représentent le reste, soit près de 29% des ventes. Mais malgré ces performances remarquables, les véhicules électriques ne représentent encore que 8,3% du marché mondial de l’automobile, qui reste encore largement dominé par les moteurs thermiques. La Chine est particulièrement bien placée pour dominer le marché des véhicules électriques sur les années à venir. Elle dispose pour cela de plusieurs arguments forts, qui manquent aux Etats-Unis et à l’Europe.

D’abord, la Chine dispose d’un immense marché intérieur – comme sur les autres industries. Elle représente la moitié des ventes mondiales de véhicules électriques dans le monde en 2021, avec 3,4 millions de véhicules. Vient ensuite l’Europe qui représente 35% avec 2,3 millions de véhicules. 2021 a marqué un tournant : la Chine a dépassé l’Europe en nombre de véhicules vendus, alors que c’était l’Europe auparavant qui se positionnait en tête. Suit après l’Amérique du Nord qui ne représente que 11% des ventes, pour 735 mille véhicules. Dans les autres pays du monde, l’électrique ne représente que 1,5% en moyenne.

Au Maroc, la part des voitures électriques et hybrides représente 3,2% de l’ensemble des ventes en 2021. L’avance prise par le marché chinois au niveau mondial est indéniable. En Chine, la part des véhicules électriques sur les ventes globales automobiles est passée de 5,5% en 2020 à 13,3% en 2021. Seule l’Europe fait mieux que la Chine sur ce point, avec une part des véhicules électriques qui représente 17% du total des ventes. Les Etats-Unis sont en retard, avec une part de seulement 4,4% en 2021, contre 2,3% en 2020. Alors comment expliquer l’avance prise par la Chine sur cet enjeu d’avenir ? En cause, une politique publique chinoise qui encourage aussi bien la demande que l’offre de véhicules électriques, là où les Américains y vont avec des pincettes. La Chine a annoncé un plan pour faire en sorte que la totalité des ventes de voiture en 2035 soit électrique (y compris hybrides).

Depuis une dizaine d’années, l’industrie des véhicules électriques chinois est un exemple réussi de planification économique à long terme, comme il en manque en Occident où le marché fait loi. Pour encourager la demande, la Chine a mis en place depuis 2009 une politique de subvention au bénéfice des acquéreurs, et de baisse des redevances fiscales sur les véhicules électriques par rapport aux thermiques. Dans certaines villes chinoises, la pollution est telle que les autorités ont restreint fortement l’octroi de nouvelles plaques d’immatriculation. A Pékin, il faut pour cela participer à une loterie : avec 2,8 millions de participants et 6.460 plaques offertes lors de la dernière, la probabilité de gagner est de 0,2. Ces plaques sont non transférables pour éviter qu’elles ne soient revendues. A Shanghai, les plaques sont cédées lors d’enchères : il faut compter 12.000 dollars pour réussir à en obtenir une; la plaque coûte plus cher que la voiture ! Pour encourager les véhicules électriques, Shanghai dispense les acquéreurs de Tesla de payer cette plaque : ils l’obtiennent gratuitement.

La Chine a certes pris les devants, mais on lui fait souvent le procès que le marché ne tiendrait pas si les subventions venaient à disparaitre. La Chine, consciente également que le principal frein au développement de l’électrique est celui de l’infrastructure - c’est-à-dire des bornes de recharge-, a investi massivement sur ce volet. Les Etats-Unis sont en retard sur ce plan, malgré le programme lancé par Biden pour installer 500.000 bornes supplémentaires. Le pays conserve sa culture des grands moteurs, taillés pour les grandes routes. Plusieurs producteurs de voitures américains considéraient que la voiture électrique était un produit qui trouverait son segment en ville, où les usagers se limitent à de petits trajets. Tout a changé lorsque Tesla a présenté le modèle Cybertruck en 2019 - un pick-up comme les modèles fortement appréciés aux Etats-Unis -et le modèle Semi- un camion électrique tracteur de semi-remorque. Les producteurs de voitures ont réalisé à ce moment-là que Tesla ne se confinerait pas à son segment de citadines, mais qu’elle comptait bien disrupter le transport routier. Cela a agi comme un électrochoc pour plusieurs producteurs qui ont commencé à aborder le sujet avec davantage de sérieux.

La Chine encourage également l’offre, et sait tirer profit de ses avantages manufacturiers. Au niveau de la production, 44% des véhicules électriques sont produits en Chine, 25% sont produits en Europe, et 18% aux Etats-Unis. Alors que les producteurs chinois de voitures électriques importent certaines composantes des Etats-Unis, l’objectif chinois est d’atteindre en 2035 une Supply Chain entièrement locale de bout en bout pour ne plus dépendre d’aucun pays. Toujours au niveau de l’offre, une des clés de réussite de la Chine est d’avoir fermement ancré la trajectoire de ses producteurs sur l’enjeu de l’électrique. La Chine impose un quota de voitures électriques aux producteurs chinois, et une amende s’ils ne respectent pas cet objectif. En 2021, Tesla a vendu 936.172 véhicules électriques de par le monde, ce qui représente une part de marché de 14,4%. Vient ensuite Volkswagen avec une part de marché de 11,7%, puis SAIC (joint-venture à 50/50 entre le chinois SAIC et l’américain General Motors) qui capte 10,5%, le chinois BYD avec 9,1%, et Stellantis 5,6% (résultat de la fusion du groupe PSA Peugeot-Citroën et de Fiat Chrysler Automobiles).

Si l’on combine la part détenue par les entreprises chinoises SAIC et BYD, on arrive à une part de marché de 19,6%, supérieure à celle de Tesla. Volkswagen - l’inventeur du moteur diesel - a déjà annoncé qu’il avait les ressources et l’ambition nécessaires pour devenir le premier acteur mondial de l’électrique. Tous les groupes ont Tesla dans leur viseur… Au final, l’Europe pousse vers l’électrique à travers une approche réglementaire qui impose progressivement des restrictions fortes sur les moteurs thermiques, la Chine avec une approche globale pensée aussi bien en termes de production que de consommation, et entre-temps, les Etats-Unis observent. Le pays, qui dispose d’atouts indéniables pour pendre le lead sur ce sujet, manque d’ambition et de conviction. Il semble convaincu que le moment de l’électrique viendra, mais ne semble pas pressé de sauter le pas. A l’heure où l’automobile est désormais reconnue comme un métier mondial du Maroc, acquérir de l’expertise et une avance technologique sur le segment de l’électrique est un enjeu d’avenir.

 

*) : Omar Fassal travaille à la stratégie d’une banque de la place. Il est l'auteur de trois ouvrages en finance et professeur en Ecole de commerce. Retrouvez le sur www.fassal.net.

 

 

 

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