Il faut lire - et relire même - la nouvelle édition de l'étude annuelle de l'Institut Royal d'études stratégiques (IRES) dirigé par Mohamed Toufik Mouline sur «La réputation du Maroc dans le monde 2022». Elle conclut à une image «globalement positive». Elle appelle aussi, dans ses propositions terminales, à une accentuation des politiques publiques pour améliorer cette appréciation. Lesquelles ? L'engagement des réformes de grande envergure (éducation, innovation, technologies, capital de marque et de qualité, etc.). Elle y ajoute une mobilisation durable pour édifier «une Marque Maroc unique, forte et pérenne» : celle de la modernité, de la solidité institutionnelle et de la stabilité politique. Ce qui commande une politique de communication stratégique, ciblée et cohérente.
Un pays millénaire, un narratif…
Référence est faite ici, entre autres, à la notion de branding. Elle a été développée dans le monde des affaires et dans le marketing moderne. Elle se décline ainsi comme tout signe, image, logo, termes, noms... Mais elle englobe plus qu'une simple gestion d'image ou d'un logo. Elle est en effet plus complexe et se fonde de plus en plus sur la richesse immatérielle des grands groupes dans le monde et sur celle de leur image de marque : leur Brand ! Il y a un «Branding pays» qui doit être l'un des axes de la diplomatie du Royaume et partant de son développement.
Quelles peuvent en être les pistes d'avenir ?
Tout d'abord ceci : un narratif - pays millénaire, au carrefour de trois continents et de deux mers, il est porteur d'une civilisation qui est le legs de l'histoire et qui lui donne son identité et sa spécificité. Les écrits des plus grands historiens grecs parlant des villes de Tanger, Larache et Nador; l'un des plus anciens récits d'exploration de l'Afrique, le «Périple d'Hannon» (VIe siècle av.J.C.), roi des Carthaginois, mentionne les villes côtières d'Essaouira, Sidi Ifni et Dakhla - il y fait les louanges des richesses du pays, sa culture, la générosité de sa population.
Le Maroc historique c'est aussi une longue tradition de gouvernance - depuis les Idrissides, les Almoravides, les Almohades, les Mérinides, les Saadiens et depuis plus de quatre siècles, les Alaouites. C'était un empire : son influence s'exerçait du sud de la France jusqu'au fleuve Niger et même au-delà… Une richesse et un métissage des cultures, une sédimentation d'apports. Un processus multiséculaire qu'a consacré dans son préambule la Constitution de juillet 2011 en précisant que l'unité du Royaume a été «forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et sahara – hassanie» et qu'elle s'est «nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen».
Un héritage qui a permis de se distinguer et de mettre en relief son propre «branding» - de grands penseurs, poètes, écrivains, artistes et savants y ont largement contribué. Une mention particulière doit être faite à cet égard à ceux, entre autres, qui témoignent de l'image que donnait le Maroc à l'époque: Ibn Khaldoun (1313 -1974), père fondateur de la sociologie; le grand voyageur Ibn Batouta (1304 - 1368), né à Tanger; Charif Al Idrissi (1100- 1165), grand géographe, cartographe et botaniste de renom mondial; ou encore, Ibn Al Khattib (1313 -1374), né à Fès, écrivain, historien et philosophe- un grand savant de l'Islam tolérant et fédérateur, autour de ce qu'il appelait «l'Amour supérieur» de Dieu, des humains et de son pays.
Des attributs positifs
La problématique aujourd'hui est celle-ci : que faire pour améliorer davantage- et durablement- la réputation du Maroc à l'international ? En 2022, il occupe la 32ème place auprès des pays du G7 + la Russie parmi les 72 pays évalués. Elle est équivalente à celle des Etats-Unis et de l'Indonésie; elle est mieux que celle de la Corée du Sud, du Vietnam, du Chili, des BRICS, de la Turquie et l'ensemble des pays arabes et africains. Elle a fait un bond de 12 points en Chine et de 6 points en moyenne dans d'autres pays (Kenya, Pays-Bas, Afrique du Sud, Allemagne), en creux, elle a cependant reculé de 3 à 5 points au Royaume-Uni, en Inde, en Turquie et en Suède. De quels atouts disposent-ils ? Il s'agit d'attributs liés aux dimension «Qualité de vie », «Facteur humain», «Sécurité», «Protection de l'environnement» et «Lutte contre le changement climatique». Pour d'autres attributs, des progrès ont été enregistrés pour ce qui regarde les dimensions «Niveau de développement», «Qualité institutionnelle» et «Ethique et responsabilité».
Des évaluations moins favorables demeurent cependant pour certains attributs (capacité technologique, reconnaissance des entreprises et des marques, environnement naturel, loisirs et distractions, etc.). Cela dit, que faire aujourd'hui et demain pour promouvoir et consolider une image encore plus positive. L'enquête de l'IRES observe que «Le Maroc continue à être perçu par les ressortissants des pays du G7+ la Russie comme un pays à visiter et, éventuellement, à y assister à des évènements ou à y acheter des produits et des services». Et d'ajouter dans cette même ligne : «Comparativement à la moyenne mondiale, le Royaume est perçu davantage comme une destination touristique et un lieu de repos et de loisirs, plutôt que comme un acteur économique». Voilà la problématique à l'ordre du jour !
Une priorité autour d’un projet de société
La vision Royale a appréhendé depuis des années cette exigence. Elle a été ainsi formulée, voici… cinq ans, dans le discours au Parlement, le 13 octobre 2017 que la nécessité de «reconsidérer notre modèle de développement»; elle a été réitérée un an après devant la même institution en appelant à «une réévaluation du modèle de développement national et à l'élaboration d'une nouvelle approche» intégrée dans «les évolutions de l'environnement national et international». Elle a conduit à la mise sur pied d'une commission nationale consultative ad hoc qui a remis à la fin mai 2021 son rapport. Ce qui a été l'axe central de ce travail a trait, en l'espèce - à l'édification du Maroc de demain et ce dans «une prospective à l'horizon 2035». Objectif : le challenge d'un «Made in Morocco» décliné autour d'un nombre élevé de secteurs et d'activités à fort potentiel dans l'industrie, les services et les ressources naturelles; une ambition aussi qui permette de se démarquer et de se distinguer par la capacité à s'intégrer dans les chaînes de valeur régionales et mondiales.
Des termes de référence liés à l'attractive du Royaume et à son branding. Que mettre en relief ? L'image d'un Maroc tel qu'en lui-même - avec son identité et ses valeurs - mobilisé autour d'un projet de société moderniste, démocratique, pluraliste, jouissant d'une capitalisation liée à la stabilité, à ses institutions et à une cohésion sociale. Un Maroc offrant, par ailleurs, de grandes opportunités économiques dans des secteurs innovants (énergies renouvelables, modèle décarboné, nouvelles technologies, etc.). Une mutualisation des actions et des efforts de l'ensemble des parties prenantes s'impose à l'évidence (ONMT, Asmex,...). Une politique transversale est ainsi requise sur des bases de continuité et d'agilité pour appréhender les mutations de l'environnement international. La consolidation d'un tel branding à l'avenir ne doit pas se limiter à de l'évènementiel épisodique mais se préoccuper d’autre chose au-delà : une démarche créatrice de valeur inscrite au rang d'une priorité stratégique.
Par Mustapha SEHIMI
Professeur de droit (UM5, Rabat)
+ IRES, «La réputation du Maroc dans le monde 2022», sept.2022, 101 p. (https://www.ires.ma )