La COP 27 qui se tient à Charm El-Cheikh depuis le 7 novembre va clôturer sa session ce vendredi 18. Quel va en être le bilan ? Y aura-t-il un accord sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Le CO2 en tout cas atteint un niveau record en 2022, en hausse continue. Les émissions mondiales ne montrent donc aucun signe d'une diminution nécessaire et urgente pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C comme annoncé dans les précédentes COP. Il s'agit d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 et d'avoir une chance de limiter le réchauffement à la fin du siècle.
Responsabilité historique du Nord
Une problématique prise en mains par le Maroc depuis une bonne dizaine d'années. L'illustration de cette préoccupation a été la COP22 à Marrakech en 2016. Elle a eu lieu après la COP 21 à Paris. Elle avait un enjeu : celui d'implémenter les engagements pris dans la capitale française. Cela veut dire quoi ? Des actions concrètes, des financements à mobiliser et une réarticulation des modèles économiques; en d'autres termes, œuvrer à une stratégie de décarbonation à long terme. Le Maroc a multiplié les initiatives dans ces domaines. L'une d'entre elles, prise par le Souverain, lors de ces assises, a été l'organisation du 1er Sommet africain mobilisé autour de l'action à entreprendre dans le continent. Il fallait parler d'une seule et même voix, conjuguer et coordonner les politiques nationales et se doter de capacités de résilience pour lutter contre le dérèglement climatique. Dans le même temps, il importait de mettre les pays développés devant leurs responsabilités. Lesquelles ? La mobilisation des 100 milliards de dollars annoncés et promis à partir de 2020 pour le financement des politiques de lutte contre le changement climatique des pays du Sud. Il faut aussi mentionner autre chose : la responsabilité historique des pays du Nord à propos de l'état actuel de la question climatique lié à l'accumulation depuis plus d'un siècle de l'émission de grandes quantités de gaz à effet de serre depuis la révolution industrielle du XIXème siècle.
A la COP 27, le Maroc a remis et distribué un rapport. Il prend en compte les recommandations formulées par la Banque mondiale qui lui ont été présentées voici deux mois; il précise aussi les axes de sa stratégie: la lutte contre le stress hydrique, la résilience aux inondations, enfin le rôle des collectivités locales dans le domaine climatique. Autant de défis à relever le grand déficit se creusant toujours. Pour ce qui est du premier, entre l'offre et la demande qui est désormais à l'ordre du jour - il est devenu structurel. Le deuxième a trait au coût des inondations évalué à plus de 4 milliards de DH. Celles-ci sont liées à des catastrophes naturelles et à une grande variabilité des pluies. Un plan national a été ainsi créé avec un Fonds dédié. Un régime d'assurance a même été institué à cet effet. Mais il vaut également de prendre en compte la question sociale telle qu'elle est impactée par le changement climatique. Qui en pâtit le plus ? Les populations les plus vulnérables parce que les plus affectées de surcroît par la sécheresse. Le dernier axe regarde ce qui peut être entrepris par les collectivités locales. Que faire ? Prioriser une approche transversale en lieu et place de politiques sectorielles, pratiquement en silos. La coordination est ainsi nécessaire tant au plan horizontal que vertical. Les collectivités locales ont à être associées et impliquées à cet égard. Le paramètre climatique doit prévaloir- un budget spécifique, une fiscalité environnementale,... L'enjeu à long terme est d'arriver à décarboner l'économie; l'horizon fixé est 2050. D'où un programme ambitieux de développement des sources d'énergie renouvelable. Celles-ci ont été de 20% environ en 2021. Il faut encore faire plus et mieux d'autant que le charbon est davantage utilisé encore dans la production de l'électricité. Aujourd'hui, le mix énergétique est le suivant : pétrole (57%), charbon (30%), biocarburants (6%), gaz naturel (4 %), etc.
L'éolien, un modèle énergétique
La mise en relief de la diplomatie climatique se traduit dans le choix stratégique en faveur de l'énergie éolienne. Un modèle énergétique ne pouvant qu'inspirer le continent et même d'autres pays. Mais il y a plus encore avec le partenariat vert mis sur pied avec l'Union européenne. Voici un mois, le 18 octobre dernier, un mémorandum d'entente a été signé à Rabat. Il précise les domaines de coopération dans les domaines suivants : changement climatique, transition énergétique, protection de l'environnement, économie verte et bleue, etc. Il faut le dire : le Maroc est le premier pays qui conclut un tel partenariat avec Bruxelles. Un programme ambitieux a d'ailleurs été annoncé par Rabat sur la base d'une enveloppe de 14,5 milliards de DH; il sera intégré et réalisé en 2024.
Dans toute cette stratégie, l'impulsion est celle de SM le Roi depuis une bonne vingtaine d'années. La déclinaison en est faite en plusieurs volets et sur la base d'un agenda à court, moyen et long terme. La transition énergétique s'accélère; elle doit conduire à une proportion de l'ordre de 52% des énergies renouvelables à l'horizon 2030. En l'état, aujourd'hui, le Royaume se classe déjà au 16ème rang mondial. Une stratégie appréciée par le Conseil mondial de l'énergie d'offres éoliennes offshore (GWEC) pour qui «le Royaume dispose de flottantes de grande puissance qui peuvent être d'une grande utilité pour réduire la dépendance aux combustibles fossiles - pétrole, gaz, charbon - et atteindre l'objectif «Net Zéro» d'ici 2050».
Politique verte
Autre vecteur : l'hydrogène vert. Il s'agit de diversifier le bouquet énergétique. Le Maroc, avec le concours financier de l'Allemagne, a signé ainsi un ambitieux programme de l'hydrogène vert. La première usine en Afrique sera construite -un projet finalisé les 18-19 octobre dernier lors d'une visite d'une délégation marocaine. Là encore, un grand potentiel est à relever avec la perspective d'être bien placé à terme au niveau mondial. Lors de la 2ème édition du «World Power -to-X Summit», à Marrakech, en juin dernier, le président de la CGEM avait insisté sur l'immense potentiel du marché mondial de l'hydrogène vert où à l'horizon 2030 le Maroc pourrait avoir 4%, soit quelque 3 milliards de dollars. De quoi offrir la possibilité d'être un fournisseur de l'Europe. Un schéma d'évolution de nature géostratégique aussi avec une reconfiguration des équilibres géopolitiques dans la région. A noter ici la réalisation du premier système de production d'hydrogène vert dans la ville verte de Benguerir, le «Green Energy Park», par l'Institut IRESEN, le département de l'Energie et le groupe OCP.
Des politiques publiques en marche donc; des recherches et des projets innovants; un cadre d'accompagnement et de soutien des atouts pour réunir les conditions de réalisation des objectifs prévus. Une convention- cadre a été signée le 27 juillet 2021 dans cette perspective. Elle lie le département de l'Industrie et de l'Energie, celui de la Transition énergétique du développement durable, l'Agence nationale de l'efficacité énergétique (AMEE), l'Institut marocain de normalisation (IMANOR), la CGEM ainsi que la Fondation Mohammed VI pour la protection de l'environnement. Elle a pour mission l'accompagnement des entreprises dans leur processus de décarbonation mais aussi les collectivités locales. La politique verte comme composante structurelle du modèle de développement. La diplomatie retrouve là une visibilité supplémentaire : une valeur ajoutée tant en interne que dans le continent et même ailleurs. Un challenge d'avenir...
Par Mustapha SEHIMI
Professeur de droit (UM5, Rabat)
Politologue