Cette semaine, du 1er au 5 mars, le Président Macron se rend donc en Afrique centrale, au Gabon, Angola, RD Congo et au Congo. Un voyage pour renforcer les liens entre la France et l'Afrique alors que le sentiment antifrançais est de plus en plus vif. A Libreville, il participera notamment au One Forest Summit, un sommet consacré à la préservation et la valorisation des forêts du bassin du fleuve Congo. Avec 220 millions d'hectares de forêts, ce bassin est le deuxième poumon écologique de la planète après l'Amazonie (Brésil) - il est désormais menacé par la surexploitation agricole et industrielle.
Avant ce déplacement sur le continent, le Chef d'Etat français a tenu une conférence de presse le lundi 27 février. Il a assuré à cette occasion que "L'Afrique n'est pas un pré encarré"; que la France n'était "qu'au milieu du gué" ; et que "Nous sommes comptables, du passé avec une politique qui a décidé de changer (...) sans qu'il y ait encore pleinement "les résultats de cette politique".
Paris - Rabat : avancer ?
Interrogé sur les relations de Paris avec Alger et Rabat, il a déclaré qu'il allait continuer à "avancer" pour renforcer la relation avec les deux pays. Il a aussi tenu à préciser que cela se ferait au-delà des "polémiques" actuelles. Il a convenu encore que "la période n'est pas la meilleure mais çà ne m'arrêtera pas", pointant du doigt au passage ceux qui "essaient de monter en épingle des péripéties". De quoi s'agit-il pour ce qui concerne en tout cas le Royaume ? Des "péripéties"… Faut-il ranger dans ce chapitre tout ce qui fait encore le stock des dossiers, des ambigüités et des contentieux entre nos deux pays ? La politique très restrictive des visas durant plus d'un an à compter de septembre 2021, les campagnes insidieuses sur l'implication du Maroc dans l'utilisation du logiciel espion Pegasus enclenchée dès juillet 2021, la mobilisation constante et hostile des eurodéputés macroniens - la houlette de Stéphane Séjourné l'un de ses proches - contre la justice, l'Etat de droit et des libertés dans le Royaume, sans parler de la rigidité et de la frilosité de Paris à prendre en compte les avancées et la dynamique nouvelle de la question nationale du Sahara en Europe, et ailleurs: autant de facteurs cumulatifs qui ne poussent pas à quelque réchauffement bilatéral. L'annonce puis le report répété de la visite du Président français au Maroc est bien le baromètre de l'état de froidure, polaire même, des rapports entre les deux pays.
Qu'en est-il maintenant du continent ? Ses déclarations de lundi dernier font écho à celles de Ouagadougou (Burkina Faso), le 28 novembre 2017, à l'université de cette capitale. Il avait alors déclaré qu'"il n'y a plus de politique africaine de la France"; qu'il avait une nouvelle vision se voulant une rupture avec l'ordre ancien (la Françafrique); et qu'il entendait mettre fin à un certain "paternalisme", voire d'une "condescendance". Aujourd'hui, il annonce qu'il refuse de voir en l'Afrique un terrain de "compétition", rejetant des "grilles de lecture du passé". Le passage d'une "logique" d'aide à celle d'investissement : "une nouvelle relation équilibrée réciproque et responsable" avec les pays du continent. Il l'a dit et répété : il veut faire preuve "d'une profonde humilité face à ce qui se joue sur le continent africain" - une somme de défis vertigineux, sécuritaire, climatique et démographique avec la jeunesse qui compte 70% de la population avec les moins de 30 ans.
Quel sera le bilan provisoire de ce périple dans le continent ? Le Président Macron mesure que c'est bien la fin d'une époque. Mais quels seront les axes et les traits de la nouvelle qu'il se propose d’asseoir avec ses partenaires africains ? Il a bien expliqué qu'il y une "part d'africanité de la France", oui sans doute ; mais en même temps il a tenu à surligner l'accent que "la France a des devoirs, des intérêts et des amitiés". Il a aussi insisté dans cette même ligne sur une nouvelle approche pragmatique. Mais des convergences d'intérêts existent-elles entre Paris et ses partenaires. Pas au Sahel, en tout cas : tant s'en faut. Il a ainsi plaidé pour une "décomplexion des rapports", des " relations assumées".
Rattrapage et tâtonnements
En Afrique de l'Ouest, la France a été contrainte de retirer ses forces de pays comme le Mali et le Burkina Faso, en pleine transition politique, et ce dans des conditions peu glorieuses... Les Africains vivent de plus en plus difficilement la présence militaire française sur leur continent. Face aux défis nouveaux - terrorisme, jihadisme,...- l'armée française n'a pas réussi à aller au devant des attentes de certains partenaires africains. La coopération sécuritaire et militaire a ainsi perdu de son efficience. L'espace sahélo-saharien en particulier voit la Russie s'implanter avec les milices Wagner, qualifiées de "groupes de mercenaires criminels". D'autres influences pèsent de tout leur poids dans le continent : Chine, Turquie,... Tout cela doit conduire à une mise à plat de la politique africaine de Paris. Un nouveau partenariat sécuritaire et militaire avec des bases cogérées et une réduction de l'ensemble du dispositif au Sénégal, au Gabon et en Côte d' Ivoire.
L'Afrique est désormais mondialisée. Comment va se réarticuler la politique de Paris dans le continent ? La France est de plus en plus en deuxième rideau, illustrant bien les limites de son influence. Une nouvelle stratégie ? La tentation forcée de son désengagement ? La perte en rayonnement ? Un rattrapage laborieux. Des tâtonnements aussi. Une diplomatie «low cost»...
Par Mustapha SEHIMI, Professeur de droit (UM5R) Politologue