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«Le CVE n’a aucune raison de continuer à exister après l’Etat d’urgence sanitaire»

«Le CVE n’a aucune raison de continuer à exister après l’Etat d’urgence sanitaire»

Ancien président de la commission «Financement et délais de paiement» à la CGEM, entrepreneur et professeur universitaire à Al Akhawayn, HammadKassal est aussi un observateur averti de la scène économique marocaine.

Dans cet entretien, il explique pourquoi le politique doit prendre le relais du CVE dans la phase de relance de l’économie. 

Il égratigne aussi au passage le Plan de relance sectorielle du patronat, qu’il juge pauvre en propositions intelligentes. 

 

Propos recueillis par F.Z.O

 

Finances News Hebdo : Globalement, quelle appréciation faites-vous des mesures engagées jusqu’à présent par le Maroc pour soutenir l’économie (CVE, Bank Al-Maghrib...) ? L’impact de ces mesures a-t-il été perceptible sur le tissu des entreprises, notamment les TPME ?

Hammad Kassal : Sincèrement, l’État a assumé sa responsabilité avec beaucoup de courage et de rigueur en mettant en place toutes les conditions pour limiter les conséquences économiques et sociales d’un phénomène exogène et imprévisible. Nous ne disposons pas encore d’un état des lieux détaillé, officiel et chiffré des dégâts causés par secteur et par région. Mais le soutien aux populations défavorisées et aux salariés des entreprises et aux entreprises elles-mêmes à travers les fonds de garantie et le report des échéances sociales et fiscales a été salvateur.

Une question cruciale et qui est clairement évitée pour le moment, sera donc de savoir à quel moment le gouvernement considérera que l’on est revenu «à la normale» et qu’il n’est plus nécessaire de tendre ce filet de sécurité.        

 

F.N.H. : Le gouvernement, ou plutôt le CVE, planche actuellement sur le Plan de relance post-confinement. Selon vous, quels sont les axes prioritaires à mettre en œuvre, et quelles sont les erreurs à ne pas faire ? 

H.K. : Il faut distinguer deux étapes dans le processus de gestion de la crise actuelle, la première était axée sur le sauvetage, l’État pompier. C’est dans ce cadre que le CVE a été mis en place afin que les décisions soient prises rapidement et d’une manière concertée -public/privé-, même si le rôle du privé était plus spectateur qu’acteur.

La deuxième étape, la plus importante,consiste à relancer l’économie nationale. Elle sera longue, difficile et coûteuse,avec toutes les mesures budgétaires et autres qu’il faut prendre. Ceci nécessite des décisions politiques qui vont engager le pays sur plusieurs années (endettement, déficit budgétaire…). Et là,c’est le rôle des institutions élues démocratiquement, Parlement et gouvernement, qui doivent assumer leurs responsabilités avec un débat transparent. À mon avis, dès la levée de l’état d’urgence sanitaire, le CVE n’a aucune raison de continuer à exister.

Le passage entre le plan de sauvetage qui remplace les revenus manquants et le plan de relance qui doit poser de nouvelles priorités, risque d’être délicat. Faudra-t-il relancer tout ou faire des choix en insistant sur des secteurs plus porteurs ? De façon évidente, ce sera à l’État de faire ces choix.

Pour éviter que la récession causée par cette épidémie se transforme en dépression, la puissance publique est obligée d’augmenter sensiblement la dette publique pour amortir le choc. C’est cette dette publique qui permettra à l’État d’offrir les garanties aux banques pour leur permettre d’accorder des crédits aux entreprises en difficulté. 

La question est évidemment de savoir qui va payer la note et comment ? Seule la croissance qui génère l’enrichissement, va permettre demain de rembourser la dette d’aujourd’hui. 

 

F.N.H. : La CGEM a récemment présenté un plan de relance qui ne compte pas moins de 580 propositions de mesures émanant des Fédérations professionnelles. En tant qu'ancien membre du patronat, quelle appréciation en faites-vous ? 

H.K. : D’abord, je tiens à préciser que je suis toujours membre de la CGEM, à jour de mes cotisations, ma démission était de l’équipe Mezouar et pas de la CGEM qui appartient à toutes les entreprises du Maroc. J’ai toujours milité pour qu’elle soit unie, forte, représentative et surtout INDEPENDANTE. 

Pour répondre à votre question, j’ai lu les 125 slides, qui exposent, comme le font les cabinets de conseil, les propositions de l’équipe actuelle qui pilote aux destinées du patronat.  En 25 ans de militantisme au patronat marocain, je n’ai jamais vu un document aussi vide et pauvre en propositions intelligentes. C’est une compilation de revendications corporatistes qui se répètent par certaines fédérations, depuis des années à chaque Loi de Finances. Moise a passé sa vie à faire appliquer 10 commandements, il a eu beaucoup de mal… La CGEM plus de 500. Chapeau!

L’équipe actuelle de la CGEM ne donne aucune précision chiffrée sur l’engagement des entreprises en matière d’investissements futurs, en matière de maintien des emplois ou de création de nouveaux emplois et surtout en matière de recapitalisation des entreprises en injectant de l’argent frais par les patrons.

L’État doit absolument conditionner son soutien, qui ne peut être qu’indirect : Tout en amenant les patrons à mettre la main àla poche.

L’État ne doit pas se transformer en une immense caisse dans laquelle le secteur privé peut puiser à son aise pour poursuivre son activité après la crise. 

 

F.N.H. : Comment imaginez-vous le Maroc de demain, post-Covid-19 ? Sur quels fondements notre économie doit-elle désormais s'appuyer ? Quel rôle pour l’État dans ce cadre ?

H.K. : Le monde appelle à un retour en force de la puissance publique pour s’occuper des dégâts, pour nettoyer, soigner, sauver la demande, pour ‘cracher’ du cash, même les ultralibéraux qui, hier encore, prônait le moins d’État possible.

Comme tout citoyen marocain qui aime son pays, je souhaite que les responsables tirent des leçons constructives de cette crise, qui constitue un levier puissant d’influence pour la construction de ce fameux «nouveau modèle économique» tant attendu.

Je pense que nous avons une occasionpour rompre définitivement avec un modèle basé sur l’enrichissement facile et l’économie de rente et construire une économie où la valorisation des richesses nationales et une répartition équitable redonneront confiance aux jeunes.

J’espère aussi que les dirigeants politiques aient le courage et l’imagination nécessaires pour œuvrer à cette transformation.

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