Depuis sa création, ou plutôt son apparition en 2009, le bitcoin est au centre de violents débats entre économistes, investisseurs, mais aussi entre politiques. Si pour certains le Bitcoin, et plus généralement les cryptomonnaies représentent une menace pour le système financier dans sa forme actuelle, pour d’autres, il pourrait incarner une forme de monnaie de réserve à l’image de l’or, sans pour autant entrer en concurrence avec la monnaie scripturale dans sa fonction de monnaie d’échange. D’autant plus que le bitcoin a été pensé par son ou ses fondateurs, cachés derrière le pseudonyme Satoshi Nakamoto, pour atteindre une quantité maximale de 21 millions d’unités d’ici 2140 selon certaines estimations, soit dans un peu moins d’un siècle et demi.
Cette rareté relative contenu dans son code source en fait, en quelque sorte, un or numérique, à la différence que pour le bitcoin, il est intégralement dématérialisé. Mais le vrai débat se situe en amont de celui-ci. Puisqu’avant de savoir quel serait l’usage qui en sera fait, la question qu’il faut impérativement se poser est de savoir s’il a réellement une valeur. Je veux dire intrinsèquement. Et là, je ne parle pas de prix, mais de valeur.
La différence est de taille ! Mais quelle monnaie en a-t-elle réellement ? La monnaie fiat (fiduciaire et scripturale) ? Pas tout à fait, puisque depuis la fin du standard-or, sa valeur intrinsèque est tout simplement égale à la valeur du papier et de l’encre imprimée dessus. Sa valeur est par conséquent une valeur perçue, qui tire sa légitimité de sa nature contractuelle et du tiers de confiance qu’est l’Etat. Même si, par convention, nous disons que sa valeur a pour contrepartie la richesse proportionnelle créée par l’économie.
Autrement dit, dans un schéma d’équilibre, la masse monétaire en circulation doit égaler le PIB. L’or ? Pour beaucoup oui. Car, contrairement à la monnaie papier dont la valeur d’usage permet tout au plus de faire de l’origami ou des avions en papier, le métal jaune est l’objet d’un usage industriel important, allant de l’électronique à la joaillerie. Mais sa valeur procède-t-elle uniquement ou principalement de la demande industrielle ? La réponse est clairement non.
L’essentiel de sa valeur se fonde sur un imaginaire plurimillénaire et presque universel. Même si une légende raconte que lorsque les Mongols pénétrèrent le palais du dernier Calife Abbasside à Bagdad, ils y trouvèrent une immense quantité d’or cachée dans une grande salle. Étonnés par le fait que le Calife n’ait pas utilisé cet argent pour recruter des troupes et résister, ils lui demandèrent : pourquoi ? Le Calife aurait répondu qu’il y était trop attaché. Par conséquent, les Mongols décidèrent de l’enfermer dans cette salle avec son or, le laissant mourir de soif et de faim, entouré de toute cette richesse. Ironique, n’est-ce pas ? Par ce procédé pas très orthodoxe, les Mongols nous apprennent que la valeur d’usage de l’or est quasi-nulle. Elle est tout au plus esthétique.
Le bitcoin ? Pour certains, il serait même mieux que l’or, puisqu’en plus de la principale qualité de ce dernier (la rareté), il jouit d’autres qualités : en étant dématérialisé, il n’a nul besoin d’être surprotégé dans des coffres forts. De même, avec le Bitcoin, nul besoin d’une charrette de bœufs pour le déplacer dans le cas d’un achat important. Mais là où le bât blesse, c’est que contrairement au métal jaune, le bitcoin ne fait pas encore l’objet d’une adoption universelle, de même qu’il ne jouit pas d’une légitimité plurimillénaire. Sans oublier que l’or a une certaine valeur d’usage industriel comme évoqué précédemment. Mais l’objection qui me semble la plus importante, est en rapport avec la contrepartie ou le sous-jacent. Car oui, la monnaie “fiat” ne vaut objectivement pas plus que celle du Monopoly.
Mais, du fait de la convention dont elle est l’objet, la garantie de la puissance politique d’un Etat, et la tutelle d’une Banque centrale, elle a de fait comme contrepartie une richesse créée. Elle est donc la preuve d’un travail socialement utile réalisé par quelqu’un. Du moins, quand la politique monétaire est sagement menée et qu’une inflation trop importante ne vienne pas légitimer ce mécanisme. Car, au fond, c’est quoi la contrepartie du Bitcoin ? Son existence est la preuve de quoi? D’un travail de minage ? Oui, mais qu’est-ce que le minage, sinon une dépense énergétique colossale, mobilisée pour une puissance de calcul astronomique, pour générer des blocs qui viendront s’ajouter à une chaîne de blocs ?
Quelle utilité pour la société ? Aucune. Pire, cette dépense énergétique aurait pu faire l’objet d’un meilleur usage, comme par exemple produire des biens réels, utiles à la société. Mais ne vous y trompez pas. Le but de ma démarche n’est pas d’attaquer ou de discréditer le Bitcoin, mais de ne pas lui assigner des fonctions qu’il n’a pas. Le Bitcoin ne sera jamais une monnaie transactionnelle capable de remplacer la monnaie fiat ou une monnaie adossée à l’or. Cependant, rien ne l’empêche d’être ce qu’il est déjà, à savoir un placement spéculatif ou, tout au plus, une valeur refuge transitionnelle et temporaire, le temps de trouver mieux.
Enfin, pour être honnête dans ma démarche, je mentionnerai le fait que si le pauvre Calife Abbasside avait été enfermé avec de la monnaie papier, des cartes de crédit ou des bitcoins, il serait quand même mort de soif et de faim. Puisqu’au fond, les seuls éléments qui possèdent réellement une valeur d’usage absolue et indiscutable, ça demeure la terre nourricière et l’eau. Et si au Maroc nous possédons la première en abondance, la deuxième nous fait cruellement défaut en ces temps de sècheresse.
Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d'Arkhé Consulting