◆ Dans son récent rapport, l’Institut Amadeus dévoile les piliers nécessaires à la relance économique et à la refonte du modèle de développement national.
◆ L’Institut encourage également le développement d’une offre industrielle à caractère national.
◆ Interview avec Brahim Fassi Fihri, président fondateur de l’Institut Amadeus.
Propos recueillis par B. Chaou
Finances News Hebdo : Tout d'abord, comment est née l'initiative de la réalisation de l'étude intitulée «Adaptation, innovation, agilité, créativité et efficacité : les 5 piliers de la relance et de la construction du modèle de développement national post-Covid-19» ?
Brahim Fassi Fihri : Cette étude est une contribution complémentaire de l’Institut Amadeus en faveur de la réflexion sur la refonte du modèle de développement national. L’Institut avait déjà publié en juillet 2019 un premier mémorandum sur le sujet, mais il nous paraissait important, dans ce contexte marqué par une crise sanitaire et économique, de renforcer davantage notre contribution à ce débat. Le Maroc a eu «la chance» d’amorcer une réflexion sur son modèle de développement avant la pandémie, ce qui lui a permis de s’aligner aujourd’hui sur l’ensemble des nations qui sont dans une optique de reconfiguration de leurs modèles de développement socioéconomique pour s’adapter aux conséquences de la crise sanitaire et préparer la relance économique. Car, justement, relance économique et refonte du modèle de développement national font partie d’un «tout» indissociable.
F.N.H. : Parmi les thèmes phares abordés dans cette étude, la relance de la croissance via la relance de la consommation interne. Or, actuellement, beaucoup de ménages subissent une baisse de revenus et ont peu de visibilité sur l’avenir. Et comme nous le savons tous, les ménages dépensent moins en situation d'incertitude économique. Comment peut-on donc les inciter à consommer plus, selon-vous ?
B. F. F. : Il est vrai que nous vivons aujourd’hui une crise à la fois de l’offre et de la demande, et qui crée évidemment une situation d’urgence sociale, compte tenu de l’impact de cette double crise sur les ménages. Dans le contexte actuel, nous avons choisi 5 piliers pour accompagner la rénovation du modèle de développement national, ces fameux piliers que nous avons appelés adaptation, innovation, agilité, créativité et efficacité. Dans le volet adaptation, nous revenons sur les mesures sociales d’accompagnement initiées par Sa Majesté, suite à la création du Fonds Covid-19. Cette initiative a permis de mettre en place des filets sociaux complètement inédits dans notre pays et qui auront vocation à perdurer, puisque l’accompagnement social est partie intégrante de la construction d’un modèle de développement rénové.
C’est pour cela qu’aujourd’hui quand nous parlons de consommation, l’accompagnement des ménages, et notamment ceux les plus défavorisés, paraît essentiel et suggère l’injection de liquidités dans l’économie nationale. D’ailleurs, l’annonce de la mise en place d’un fonds d’investissement dédié de 120 Mds de MDH va dans ce sens et permettra d’impacter positivement la consommation. Il faut bien évidemment activer plusieurs autres leviers, dont le levier fiscal, mais aussi appliquer des incitations pour à la fois augmenter la capacité de la consommation nationale et proposer une offre solide.
Toutefois, il est important de ne pas prendre la consommation comme un point non lié au reste. Pour nous, l’ensemble de la riposte pour relancer l’économie amène à la mise en place de plusieurs éléments qui font partie d’une stratégie transverse et multidimensionnelle, et la consommation n’est qu’un de ces éléments-là.
F.N.H. : Selon-vous, quel rôle peuvent jouer l'Etat ainsi que le privé pour booster la consommation nationale ?
B. F. F. : Même si elle impose la mise en place d’un Etat social et volontariste, la reprise économique ne peut se faire sans l’implication des acteurs du privé. C’est pour cela que nous avons appelé à l’établissement d’un pacte national pour les investissements qui puisse regrouper l’ensemble des acteurs concernés et faire en sorte de s’affranchir de l’économie de rente et favoriser davantage la prise de risque. Aujourd’hui, il y a un cadre qui encourage la rente de situation par manque de moyens incitatifs permettant aux entreprises d’investir. Nous pensons donc qu’il faut mettre en place un nouveau «pacte d’investissement», qui mène vers de l’investissement national productif avec les mêmes standards d’incitations offerts aux investisseurs étrangers.
F.N.H. : Vous avez parlé de la création des Assises de la consommation. Quelle sera la valeur ajoutée de cette initiative en faveur de la consommation nationale ? Et quelles seraient les parties prenantes à ce débat ?
B. F. F. : Il y a des associations de consommateurs qui œuvrent de manière individuelle et détachée d’une réflexion institutionnelle. Elles agissent bien évidemment dans leur but de principe qui est de soutenir les consommateurs, mais cela doit dorénavant se faire sous un parapluie institutionnel, surtout dans un contexte de pandémie et de récession, où le consommateur est au centre de la relance. Il est donc nécessaire d’instaurer un cadre institutionnel qui pourrait passer à travers des «Assises de la consommation», et qui regrouperaient l’ensemble des acteurs de la consommation, dont les producteurs, les consommateurs, les syndicats, les opérateurs économiques et les différentes associations de protection du consommateur. Puis, et pourquoi pas, converger vers une «Agence nationale de la consommation» qui aurait comme rôle de dessiner la stratégie de développement de la consommation des produits made in Morocco.
F.N.H. : Dans une optique de relance économique toujours, il serait plus judicieux d'encourager certains secteurs plus que d'autres, notamment ceux à forte valeur ajoutée, créateurs d'emplois et qui ont des retombées directes ou indirectes sur d'autres activités. Qu’en pensez-vous ?
B. F. F. : Le Maroc a construit et développé un avantage compétitif conséquent en matière d’industrie innovante et novatrice, notamment dans l’automobile et l’aéronautique. De ce fait, il est devenu un acteur régional incontournable dans ces métiers mondiaux majeurs. Dans la logique de continuité d’ouverture en cette période de reconfiguration des chaînes de valeur et d’approvisionnement mondiales, le Maroc a un rôle majeur à jouer, parce qu’il a une expertise et un historique en matière industriel qui sont incontestables.
Cette capacité doit être mieux déployée afin de garantir l’émergence d’une industrie nationale résiliente dans des secteurs à forte valeur ajoutée, non seulement dans des métiers innovants, mais aussi dans des secteurs plus classiques et locaux pour permettre à la production marocaine d’être plus compétitive et de ne pas forcément continuer à accorder un avantage concurrentiel aux produits issus de pays comme la Turquie ou l’Egypte. Développer davantage la production industrielle nationale nous permettra d’atteindre de réels gisements de croissance. Pour donner un exemple, le Maroc est le premier exportateur mondial de poissons en conserve, or nous ne produisons pas les boîtes de conserve, nous les importons… Ce qui est paradoxal !
Dans ce contexte particulier, il faut donc réfléchir à des produits 100% made in Morocco, pour in fine permettre à l’offre exportable marocaine de se renforcer. Nous avons un certain nombre d’opportunités, une crédibilité ainsi qu’une capacité à innover, et nous bénéficions également d’un positionnement géostratégique qui parle en notre faveur. Le Maroc a vocation à être un acteur majeur dans la nouvelle relocalisation qui se dessine, j’en suis convaincu.