La pauvreté a fait de grandes enjambées ces deux dernières années et tambourine actuellement à la porte de nombreux ménages marocains. Elle puise ses racines de deux évènements marquants : la pandémie liée à la Covid-19 et l’inflation.
Huiles, volailles, viandes rouges, carburants, légumes… tous les prix ont en effet flambé. Même celui de l’œuf a pris l’ascenseur, se vendant à 1,50 DH l’unité, soit une hausse moyenne de 50%.
Aujourd’hui, les prix des produits énergétiques et alimentaires se maintiennent à des niveaux très élevés. Et il n’y a aucun signe de détente pour l’instant. Selon les derniers chiffres du haut-commissariat au Plan (HCP), comparé au même mois de l’année précédente, l’indice des prix à la consommation a enregistré une hausse de 8,3% au cours du mois de septembre 2022, conséquence de la hausse de l’indice des produits alimentaires de 14,7% et de celui des produits non alimentaires de 4,4%.
Situation critique
Il y a urgence ! Dans plusieurs pays, des mesures ciblées ont été prises qui ont permis d’atténuer un tant soit peu l’érosion du pouvoir d’achat des ménages. Bouclier tarifaire, remise sur les carburants, prime inflation… sont autant de dispositifs qui ont été mis en place.
Au Maroc, l’inflation est en partie amortie par la Caisse de compensation (26 Mds de DH mobilisés pour 2023) qui permet de garantir la stabilité des prix de certains produits (sucre, farine et gaz butane).
De même, l’Etat a une nouvelle fois renouvelé le soutien exceptionnel destiné aux professionnels du transport routier, et l’opération d’inscription a démarré le vendredi dernier via mouakaba.transport.gov.ma. Mais, visiblement, cette mesure ne semble pas être un rempart efficace contre la hausse des prix. Les professionnels du transport jugent d’ailleurs l’aide insuffisante, tandis que les citoyens n’en perçoivent pas l’efficacité, surtout quand ils doivent remplir leur panier alimentaire. Car la vie reste toujours chère. Très chère. Et quand on y ajoute les effets désastreux de la crise sanitaire liée au Covid-19, la situation devient critique pour beaucoup de citoyens. En effet, des centaines de milliers d’entre eux ont basculé dans la pauvreté. Au total, environ 3,2 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté (1,15 million) ou dans la vulnérabilité (2,05 millions) sous les effets combinés de la crise sanitaire et de l’inflation, selon le HCP.
Plus en détail, près de 45% de cette détérioration de la pauvreté et de la vulnérabilité sont dus à l'effet de la pandémie et 55% à l'effet de la hausse des prix à la consommation. «On estime, à cet égard, que près de sept années de progrès vers l'élimination de la pauvreté et de la vulnérabilité ont été perdues : en 2022, le Maroc se retrouve avec le niveau de pauvreté et de vulnérabilité de 2014», note le HCP.
Un phénomène mondial
En juillet dernier, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), dans son rapport qui a analysé 159 pays en développement, faisait savoir que la crise mondiale liée au coût de la vie, exacerbée par la guerre en Ukraine, a plongé quelque 71 millions de personnes dans la pauvreté en seulement trois mois.
Plus récemment, le 16 octobre, la Banque mondiale rendait publiques ses dernières statistiques sur la pauvreté. Ainsi, la guerre en Ukraine et l'augmentation des prix des denrées alimentaires et de l'énergie ont aggravé la situation née, entre autres, de la pandémie. De fait, estime la BM, 685 millions de personnes pourraient vivre dans l'extrême pauvreté à la fin de cette année, soit près de 90 millions de plus par rapport à ce que l’on aurait pu espérer si le rythme de réduction de la pauvreté d’avant la pandémie s'était poursuivi. «Si cette prévision se concrétise, il s'agira de la deuxième pire année depuis 2000 sur le front de la lutte contre la pauvreté dans le monde», note l’institution, précisant qu’en conséquence, l'objectif d'élimination de l'extrême pauvreté d'ici à 2030 apparaît de plus en plus inatteignable. Et près de 7% de la population mondiale, c'est-à-dire environ 574 millions de personnes, continueront probablement à vivre dans l'extrême pauvreté en 2030. C'est plus du double des 3% nécessaires pour atteindre l'objectif.
Quelle riposte ?
Quelles réponses budgétaires apporter dans une conjoncture pareille ? C’est le dilemme auquel sont confrontés tous les Etats. D’autant qu’avec l’inflation, les Banques centrales ont augmenté leur taux directeur, ce qui risque d’impacter négativement la croissance économique et d’exacerber la pauvreté.
C’est pourquoi d’ailleurs au Maroc, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) appelle à la mise en place rapide de l’aide directe aux ménages à travers le registre social unifié, qui permettra d'améliorer le ciblage des catégories en besoin de soutien. Et ce, afin d’éviter les subventions qui, non seulement entretiennent une distorsion des prix, mais profitent le plus souvent aux ménages les plus aisés.
Fouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget, n’a pas dit autre chose, jeudi dernier, au Parlement. Selon lui, il est important de réformer le système actuel des subventions, vu qu’il n'est pas efficace et que les catégories pauvres en bénéficient beaucoup moins que les catégories riches. Ainsi, 10% des catégories plus pauvres bénéficient de seulement 6% des subventions du gaz butane à titre d'exemple, note-t-il.
F. Ouriaghli