Jean-Marie Le Pen est mort. Et la France, fidèle à son tempérament tempétueux, a choisi de ne pas rester silencieuse. Entre hommages solennels et feux d'artifice antifa, la disparition du fondateur du Front national ravive les clivages, les rancunes et, disons-le, un certain folklore hexagonal. D'un côté, Marine Le Pen joue la partition du deuil familial avec une tonalité presque poétique : «Beaucoup de gens qu'il aime l'attendent là-haut. Beaucoup de gens qui l'aiment le pleurent ici-bas.
Bon vent, bonne mer Papa» ! De l'autre, place de la République, on sabre le champagne. A Lyon, quelques projectiles volent et des slogans antifascistes fusent. La France est ainsi faite : même la mort devient un espace de confrontation idéologique. Le Pen a passé sa vie à cliver. Il parvient, en disparaissant, à réunir les contraires dans un ultime face-à-face. Certains lui rendent hommage comme à une figure politique majeure, d'autres rappellent ses déclarations sulfureuses, son obsession pour l'immigration, ses thèses racistes et ses condamnations pour antisémitisme.
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, en appelle à la dignité dans la mort, tandis que Mathilde Panot, chef des députés de La France insoumise (LFI), invoque «l'esprit Charlie» pour justifier les célébrations publiques. Le Pen, faut-il le rappeler, n'a jamais laissé indifférent. Tribun provocateur, stratège du chaos, il a hissé l'extrême droite française du cercle confidentiel au cœur du paysage politique national, jusqu'à l'improbable second tour de 2002 face à Jacques Chirac.
Sa fille, Marine, s'est ensuite employée à polir l'image du parti pour tenter de faire oublier les frasques paternelles. Mais chassez le naturel... Les tensions actuelles illustrent combien la mémoire de Le Pen divise encore profondément la société française. D'un côté, ses héritiers politiques qui, entre lyrisme et nostalgie, saluent le patriarche comme un «visionnaire» et un «patriote». De l'autre, une gauche indignée qui voit en lui un «raciste».
Et au milieu, l'Elysée qui préfère laisser «le jugement à l'Histoire», une pirouette bien commode. La vraie question, cependant, n'est pas tant ce que fut Jean-Marie Le Pen, mais ce qu'il laisse derrière lui. Une France toujours polarisée, des idéologies extrêmes qui prospèrent et un parti, le Rassemblement national, qui peine à totalement échapper à un passé qui lui colle à la peau. Alors, que retenir de cette disparition ? Un homme qui a su capter les colères d'une partie des Français, quitte à les exacerber et à les instrumentaliser.
En définitive, la véritable leçon à tirer de la disparition de cette figure politique française est sans doute ailleurs : un pays qui danse ou pleure lors de la mort d'un homme politique témoigne moins de son héritage que de ses propres fractures. L'histoire jugera Jean-Marie Le Pen. Mais la France, elle, devra apprendre à se rassembler.
Par F.Z Ouriaghli