15 milliards de dirhams. Un chiffre qui claque. Un chiffre qui traduit une volonté politique : celle de s’attaquer au monstre du chômage. Le gouvernement marocain a donc dévoilé dernièrement sa feuille de route pour la relance de l’emploi.
Objectif : ramener le taux de chômage à 9% d’ici 2030 contre 13,3% en 2024. L’ambition est forte. Trop peut-être. D’abord, plantons le décor ! Le Royaume traverse une zone de turbulences climatiques et économiques. Six années de sécheresse. Une croissance molle qui tourne autour de 3,5%. Une agriculture exsangue (près de 200.000 emplois perdus en 2023 et 137.000 en 2024). Et une économie qui peine à digérer les crises internationales à répétition.
Résultat : un marché du travail moribond et des jeunes qui usent leurs pantalons sur les bancs du chômage. Dans ce contexte, la feuille de route gouvernementale avance ses pions : 12 milliards de DH pour booster l’investissement, 2 milliards pour améliorer l’efficience des programmes de promotion de l’emploi et 1 milliard pour soutenir un monde rural au bord de la déshérence. Le tout, avec l’ambition de créer 350.000 emplois d’ici 2026 et 1,45 million d’ici 2030. Sur le papier, ça respire la méthode.
Dans les faits, c’est plus compliqué. Car la réalité a un vilain défaut : elle est têtue. Prenons les projections du Policy Center for the New South (PCNS), qui a décortiqué les scénarios de cette fameuse feuille de route. Pour atteindre un taux de chômage à 9% en 2029, il faudrait une croissance de 7,9% par an. Rien que ça ! Or, avec les moteurs actuels de l’économie, on plafonne péniblement à 3,5%. Ce scénario frôle donc l’utopie.
Un deuxième scénario, plus réaliste, table sur une croissance moyenne de 4% par an. Il permettrait la création d’environ 500.000 emplois et ramènerait le chômage à un niveau plus supportable, sans pour autant atteindre les 9% visés. Ce scénario, plus modeste, reflète sans doute mieux les capacités réelles du tissu économique national.
Le troisième scénario fixe la barre à 6,65% de chômage, mais à condition d’atteindre une croissance explosive de… 10,4% par an ! Autant dire un vœu pieux sans transformation radicale du modèle productif. Enfin, le scénario 4, celui qui prolonge les tendances actuelles, nous ramènerait à un taux de chômage de 11,9% à l’horizon 2029. Autrement dit, une stagnation maquillée en progrès. Pour créer 1,45 million d’emplois, il faut donc repenser en profondeur le modèle économique, dynamiser les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre, flexibiliser le marché du travail et, surtout, relever l’élasticité emploi-croissance, actuellement à 0,23 selon le PCNS. En d’autres termes, une hausse de 1% du PIB n’entraîne qu’une hausse de 0,23% de l’emploi. C’est maigre.
Très maigre. Dans ce contexte, la réforme du marché du travail reste un élément-clé. Coincée entre la frilosité politique et les pressions syndicales, elle est pourtant primordiale. Les rigidités actuelles (embauche, licenciement, fiscalité du travail…) découragent bien des entrepreneurs. Et sans un secteur privé vigoureux, toutes les feuilles de route seront réduites à une simple clause de style. Alors, faut-il jeter celle-là aux orties ?
Certainement pas. Elle a le mérite d’exister, d’agréger des pistes pertinentes et de mobiliser un budget significatif (15 milliards de DH, tout de même !). Elle traduit une volonté politique que l’on ne peut nier. Mais pour qu’elle ne reste pas une belle vitrine, elle devra non seulement impulser une transformation économique majeure, mais également surmonter des inerties bien connues : lenteurs administratives, cloisonnement des politiques publiques, sous-capitalisation des territoires, faiblesse de la coordination entre les acteurs...
F.Z Ouriaghli