Par David William, Directeur des rédactions
C’est une analyse très lucide et très pertinente du système éducatif qu’a livrée Said Amzazi la semaine dernière, lors d’un forum tenu à Casablanca (voir page 20). Venant de celui en charge de ce département ministériel, c’est assez courageux. Et ce d’autant que le système éducatif marocain est l’objet de toutes les critiques, conséquence d’une succession de dysfonctionnements dont les racines se prolongent loin dans le temps.
On se doute donc bien qu’il n’est que l’héritier de ce système en quasi faillite, qui fait l’objet actuellement d’un véritable plan Marshall pour former la génération future; ce capital humain dont le Maroc aura cruellement besoin pour construire valablement son processus de développement économique.
Réussir ce tour de force revient d’abord à faire le bon diagnostic pour pouvoir définir le modèle éducatif gagnant.
L’analyse faite dans ce sens par Amzazi ne laisse aucun doute sur le fait qu’il a bien cerné les failles du système éducatif. Et dans toutes ses dimensions. Pour ce faire, il est remonté loin, avec des exemples édifiants dont nous vous citons quelques-uns.
Amzazi nous apprend ainsi qu’en 1956, le Royaume comptait 200 étudiants universitaires marocains, dont deux femmes, pour une population de 11 millions d’habitants ! Et c’est avec cette «élite» qu’il fallait reconstruire le pays. De même, le Maroc ne disposait que d’une centaine de bacheliers et d’environ 200 professeurs marocains du secondaire. «Le défi d’éduquer et de former les Marocains était donc (…) herculéen», estime-t-il.
Aujourd’hui, le Royaume atteint un taux de scolarisation de plus de 99%, mais il a fallu faire face à trois contraintes majeures, dont la première avait trait à l’urgence de généraliser la scolarisation, qui était alors autour de 20% pour le primaire. Maintenant que c’est chose faite, le Maroc est dans un processus d’améliorer qualitativement l’enseignement.
Secundo, il fallait «marocaniser» les effectifs d’enseignants, car seul 1 enseignant sur 2 était marocain dans le primaire et 1 sur 10 dans le secondaire, explique Amzazi. Et cela s’est fait «à la va-vite et au détriment de la qualité de formation».
Tertio, il y a eu «l’arabisation de notre système éducatif, qui a produit sa première génération de bacheliers en 1989».
«Du jour au lendemain, des enseignants formés en français et qui dispensaient leurs cours en français ont dû, encore une fois dans la précipitation, passer d’un enseignement des maths, de la physique, de la chimie et des sciences naturelles en arabe, avec des manuels en arabe, et emmagasiner tout un nouveau lexique de termes techniques en arabe, élaboré dans la précipitation la plus totale», analyse Amzazi. Pour qui «ce fut (…) la naissance d’une fracture sociale au sein de notre système éducatif qui n’a fait que s’exacerber au fil des années», et qui a abouti «à une fracture également linguistique».
Dès lors, les plus nantis sont allés vers le privé et les écoles étrangères, alors que les autres «ont dû faire avec les aléas d’une marocanisation trop rapide mais inévitable, et d’une arabisation improvisée dénuée de stratégie».
Dans ce tableau noir, Amzazi laisse quand même une lueur d’espoir. Car, pour lui, le Maroc «est assez mature pour rectifier ses erreurs et continuer à croire en une école de qualité pour tous».
D’où les réforme en cours. Mais il faudra être patient : «les réformes que nous menons aujourd’hui ne porteront leurs fruits que dans une vingtaine d’années», avertit-il. ◆